mercredi 9 décembre 2009

Magali et Martin, Lyon 1e

Nationalement et internationalement la cuisine lyonnaise est reconnue et recherchée...d'autant plus pendant la fête des Lumières ! Impossible de trouver une table, même pour 2, dans les bouchons les plus sympas, tous trustés par des hordes de japonais ou d'allemands. A défaut de la tradition, la jeunesse a du bon! et nos amis Brigitte et Julien (deux fines bouches que je remercie...), nous avaient recommandé cette adresse en solution de repli ! Quelle bonne idée ! C'était délicieux !
Dans une petite rue sans charmes, le restaurant est décoré dans des tons beiges, l'ensemble dégage une harmonie sereine. Presque fin de service du déjeuner, nous nous retrouvons à une grande table ronde. Le service a été parfait et l'assiette excellente ! Voici nos choix :
  • Velouté Dubarry, croquette d'épinard, légumes marinés acidulés pour l'un et pour l'autre Filet de maquereau marinés à cru, haricots verts à la crème citronnée
  • Pour les deux : Longe de bœuf, réduction de vin rouge, légumes du pot-au-feu et purée maison, avec une raviole de joue de bœuf
  • Picodon, fromage blanc de chèvre et copeaux de chèvre sec pour l'un et pour l'autre Mont-d'or, noix de cajou caramélisées au balsamique
  • Moelleux au chocolat, glace au cognac et croustillant de cacao pour l'un et pour l'autre Ananas frais, baba à la poire William et crème fouettée à la cannelle
  • Vin : Pic St Loup, Domaine de l'Hortus (l'un des meilleurs de l'appellation)
A la première occasion, j'y retourne pour confirmer l'avis très positif que j'en ai !

mardi 3 novembre 2009

Couperin par Pierre Citron et Rameau par Jean Malignon


Il était un temps où les ouvrages d'introduction à un auteur, un compositeur, un peintre ou un poète ne précisaient pas qu'ils étaient "...pour les nuls". Et pour cause ! au vu de leur exigence, ce qui sous ma plume n'est pas une critique, bien au contraire. Je viens de lire durant mon séjour à Lisbonne deux ouvrage d'initiation à deux grands musiciens français : Couperin et Rameau. Il s'agit bien en effet d'ouvrages de présentation de ces deux artistes et de leurs œuvres, ce ne sont pas des ouvrages destinés à des spécialistes. Cependant leur structure même, leur style et leur niveau d'analyses sont précis et demande du lecteur une véritable activité d'écoute. Ce qui m'a séduit dans ces ouvrages est leurs continuels renvois aux œuvres elles-mêmes : le livre ne prend la parole que pour mieux se taire et inviter à l'écoute et au plaisir de la musique. Au fil des pages, c'est donc une véritable anthologie (un "best of" en jargon moderne) qui est proposé. De plus, les auteurs de ces deux livres (Pierre Citron pour Couperin et Jean Malignon pour Rameau) ouvrent des perspectives étonnantes dans l'histoire de la musique. La lecture successive de ces deux ouvrages accentue d'autant plus cet effet car Citron montre que Couperin prépare Bach et Rameau et que Rameau ouvre lui-même, tout particulièrement dans ses opéras, aux recherches tant de Haydn que de Wagner. L'idée peut surprendre mais en y réfléchissant, elle n'est pas absurde. Les deux auteurs proposent ainsi des écoutes comparées très précises qui montrent bien que dans tout processus créatif il y a continuité et rupture. Deux ouvrages donc à recommander non pas aux débutants mais à ceux qui connaissent déjà et aiment la musique de Couperin et Rameau qui cherchent un guide pour approfondir leurs explorations.

L'iconographie est nombreuse mais dans les éditions dont je dispose, elle est en noir et blanc (l'ouvrage de Citron a cependant été réédité récemment aux éditions du Seuil). Intéressante pour Couperin, elle l'est beaucoup moins pour Rameau. On trouve également des discographies extrêmement datées mais de ce fait révélatrices de l'évolution des enregistrements classiques depuis les années 60. En ce qui concerne Rameau (car la discographie y est plus développée que pour celle de Couperin), seule la première génération des baroqueux, est à l'honneur : Kuijken, Leonhardt, Harnoncourt et, en France Malgoire. Les Arts Florissants de William Christie n'existaient pas encore et n'avaient pas apporté leur révolution dans l'interprétation de ce répertoire. Il y a peut-être là quelques propositions d'écoute à redécouvrir.

Verdi, Rigoletto, Chailly & Ponnelle


Mezzo a diffusé la semaine dernière le Rigoletto de Verdi par l'orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Chailly et dans la mise en scène de Ponnelle. Dans les rôles titres : Wixell est Rigoletto, Pavarotti est le Duc de Mantoue, Gruberova est Gilda. Cette vidéo doit dater de 1989, je n'en suis pas sûr.
Je ne dirais que quelques mots sur la musique car ce que je veux aborder c'est avant tout la mise en scène. Pavarotti n'est plus dans sa première jeunesse et parfois il crie là où il faudrait un peu plus de mezzo-voce ou de délicatesse, même si, il faut le reconnaître, le rôle du Duc s'y prête aisément. De ce point de vue Pavarotti a une énergie et une présence extraordinaires, il est presque gargantuesque dans la scène initiale. Observez sa bouche dans le duo d'amour sur le balcon quand il fait sa déclaration à Gilda, on dirait qu'il va la dévorer au sens propre.
Gruberova campe une Gilda très convaincante dans l'évolution dramatique du personnage : de la vierge enfant cloîtrée, à l'amoureuse débutante donc éperdue, puis à la femme aimée, violée et trahie pour finir en sainte martyre sur l'autel de son propre amour. Gruberova se révèle excellente dans les premiers duos avec son père, elle l'est moins à mes oreilles dans le fameux "Caro nome...", sa diction laisse parfois à désirer, même chose pour son legato et l'émotion affleure sans percer. Vous pouvez juger par vous même sur YouTube.
Wixell est un bon Rigoletto même s'il manque parfois de précision mais il parvient parfaitement à faire passer les émotions du personnage et c'est bien là ce que Verdi voulait.
Dans l'ensemble une distribution vocale correcte sans être exceptionnelle. Cet opéra a déjà reçu de plus somptueuses distributions (celle de Kubelik en 1963 apr exemple).

Le plus intéressant dans cette vidéo est son statut même car il ne s'agit pas d'un opéra sur scène qui aurait été filmé : c'est un film en tant que tel dont le scénario n'est rien d'autre que le livret. On a donc à faire à une vidéo entre deux genres. Les opéras sur scène filmés sont très inégaux : ils peuvent être excellents comme illisibles. On évite donc ici l'inconvénient de la caméra qui court après l'action ou qui ne livre qu'une partie de la scène. Le montage du film de la mise en scène de Ponnelle est vraiment cinématographique et de ce point de vue ce choix sert parfaitement l'action dramatique. Et ce d'autant plus que les décors sont somptueux : Mantoue, ses alentours et son Palais ducal, comme l'indique le livret (voir l'extraordinaire scène où Gilda révèle à son père son rapt dans le lit de la chambre du Duc!). Cependant, on n'a pas à faire à une mise en scène complètement réaliste, c'eût été trahir par l'image le refus verdien du vérisme. Au contraire, les choix de Ponnelle font de cet opéra un drame romantique au sens littéraire du terme, ce qui me semble particulièrement bien servir les intentions musicales de Verdi. Même si Hugo rejeta cet opéra pourtant issu de sa pièce, cette mise en scène me semble très fidèle à l'esprit du drame romantique français.
La scène d'ouverture est complètement baroque, mais un baroque revisité par Fellini : festin, vieilles femmes poudrées, décors à la perspective tronquée etc. (Voir un extrait sur YouTube) D'autres scènes se déroulent dans la ville de Mantoue où les murailles servent de toile de fond. Enfin la scène finale se déroule sur une barque au milieu du lac. L'image rendue se situe ainsi entre le réalisme historique, la caricature du baroque et le chromo fin XIXe, créant une atmosphère propice à l'illusion dramatique, bien plus parfois que celle produite sur scène. Tous ces choix servent parfaitement le déroulement de l'action dramatique et c'est en ce point que le film sert l'opéra.
Cependant, quand on assiste à un opéra, on est suffisamment éloigné des chanteurs pour ne pas voir distinctement leurs traits et les efforts qui s'y lisent. Et c'est là que le film a ses limites. Je l'ai dit plus haut de Pavarotti, le problème se rencontre aussi à propos de Gruberova. On ne peut pas dire qu'elle soit particulièrement belle, ni même jolie, pas même charmante. Son visage semble sorti d'un film expressionniste allemand et on la verrait bien plus dans un rôle de sorcière avec son nez pointu et son menton en galoche. La distance qu'oblige le plus souvent la scène a donc l'avantage de gommer les traits et les expressions trop distincts.
Dans l'ensemble une vidéo à voir, ne serait-ce que pour ce choix de mise en scène qui se révèle équilibrée malgré son âge.

lundi 15 juin 2009

Vivaldi, Juditha triomphans


L'oratorio est un genre musical bien particulier dans la mesure où il fait entrer les charmes de l'opéra au sein des églises. Vocalement, l'écriture est très semblable : par exemple dans Judtiha triomphans de Vivaldi, tous les airs (sauf 2 ou 3 exceptions justifiables par le sens du texte chanté) sont da capo, c'est-à-dire à reprise, innovation issue du genre opératique. Cet outil de séduction que sont les oratorios fait donc partie des moyens mis en œuvre par l'Église de la Contre Réforme. La figure de Judith est pourtant bien ambigüe. Elle se présente comme l'humble juive soumise et représente en cela l'humilité de l'Eglise mais elle triomphe, comme possédée par Dieu, de l'ennemi de son peuple, en le charmant (certains diront malgré elle...) puis finit par le décapiter. N'est-ce pas tout le paradoxe de l'Eglise de la Contre Réforme qui est ici exprimé : prête à user de tous les charmes que les arts sont capables de déployer mais aussi de la force et de la violence.

La Judith triomphante de Vivaldi est curieuse à plus d'un titre. Tout d'abord, il s'agit d'un oratorio militaire, comme l'indique le sous-titre. Les enregistrements modernes font précéder le choeur initial de deux mouvements de symphonie, un allegro et un grave (comme une véritable ouverture d'opéra!) faisant résonner des timbales et des trompettes bien militaires. Je ne sais pas s'il s'agit de deux mouvements conçus spécialement pour cet oratorio ou s'il s'agit de pièces réemployées mais elles assurent parfaitement la fonction de poser le décor martial de l'action mais aussi par le solo de violon la séduction que Judith va déployer. Il ne faut pas oublier que la situation dramatique du texte est celle d'un peuple en résistance, si ce n'est en rébellion : le peuple juif est sous le pouvoir de l'Holophernes.
Autre curiosité : le texte de l'oratorio est en latin, visiblement décalqué par Giacomo Cassetti sur la Vulgate. Le librettiste recours cependant à de nombreuses images où le vent et la mumière jouent un grand rôle...n'oublions pas que nous sommes à Venise. Ce qui explique aussi le caractère militaire de cet oratorio : Venise venait de délivrer Corfou de son ennemi ottoman.

La composition est structurée en deux parties. Les récitatifs présentent ou font avancer l'action et sont suivis d'airs da capo. L'action dramatique est bien curieuse. Elle est en effet très lente et tout le charme de cette pièce ne réside pas dans le déroulement de l'action, plus ou moins complexe (qui se résume à la séduction et au meurtre d'Holophernes par Judith) mais dans les prouesses vocales dont elle est l'occasion. Il suffit par exemple à Judith de se présenter pour qu'Holophernes déclare la paix et tombe sous son charme! Quelle efficacité pour une figure si humble! Le plus curieux étant le moment de l'exécution d'Holophernes car Judith décrit ses actes comme si elle en était la spectatrice et non l'agent. Le rythme de l'air à ce moment change et gagne en rapidité, montrant qu'elle est habitée par une force divine et qu'elle s'engage dans un corps à corps mortel avec son ennemi. Il y a un fort contraste entre le calme dont elle semble faire preuve et la violence de ce qu'elle dit : "Que celui-ci soit vidé de son sang, et que ce sang giclant m'apporte la gloire." Figue de l'humilité Judith? A voir!

Il y a de très beaux airs : le "Veni, me sequere fida" de Judith, un beau lamento avec solo de hautbois figurant le roucoulement de la tourterelle qu'elle évoque ; le "Nox obscura tenebrosa" d'Holophernes qui est une sérénade d'amour à laquelle Judith répond par un rappel de la brièveté de la vie "Transit aetas" juste accompagné par la mandoline ; enfin l'air de découverte du cadavre d'Holophernes par Vagaus "Armatae face, et anguibs".

J'ai eu l'occasion d'entendre cet oratorio au théâtre des Champs-Elysées par le Venice Baroque Orchestra sous la direction de Andrea Marcon. La distribution dans l'ensemble était bonne : Mary-Ellen Nesi en Holophernes, Karina Gauvin en Vagaus, Marina Comparato en Abra et Alessandra Visentin en Ozias. Mais la grande découverte ce soir là fut Romina Basso dans le rôle de Judith. Maîtrise vocale absolument parfaite, voix claire et puissante et capable de transmettre toutes les nuances des émotions du texte. Elle a remporté un triomphe (!!!) mérité.

Je me suis souvenu à cette occasion de plusieurs tableaux représentant le crime de Judith. Le premier Judith et la servante Abra de Mantegna (vers 1475 aujourd'hui à la National Gallery de Washington). Les deux femmes sortent de la tente juste après la décapitation du chef de guerre. Le corps, le cou et les vêtements sont ingresques avant l'heure. Et notez le raccourci extraordinaire du pied du héros, métonymie du corps tout entier. Mantegna fait preuve d'une grande pudeur pour décrire cette scène violente : le spectateur se voit épargner la vision de la tête décapitée. Judith à l'air complètement ailleurs, elle détourne le regard mais sans faire preuve d'aucun sentiment ni de triomphe ni d'horreur. Elle a l'air fatiguée. Vous pouvez vous livrez à un travail de comparaison de la même scène reprise par Mantegna avec des variations dans la composition mais surtout dans la manière puisqu'il a réalisé deux autres tableaux traités en faux reliefs. Il y montre l'habileté du peintre et celle du sculpteur. http://mini-site.louvre.fr/mantegna/acc/xmlfr/index.html



A l'exact opposé se situent les tableaux d'Artemisia Gentileschi. Je connais d'elle 4 tableaux sur ce même thème empreints d'une violence visuelle extrême. Cas rare pour le 17e siècle et qui éloigne complètement le traitement proposée par la peintre de celui du compositeur vénitien.

Dans le premier, le plus violent, Artemisia Gentileschi suit la leçon du Caravage dans la manière dont elle éclaire la scène, comme pour en souligner encore plus la violence et l'horreur nue. Elle a choisi le moment où Holophernes rend l'âme. Regardez bien son visage : on y lit la fin de la lutte, la résistance qui disparait. Par contre les deux femmes sont en pleine tension. On sent sur le visage de Judith et dans les muscles de ses bras l'effort qu'elle doit fournir pour décapiter Holophernes. Quant à Abra on sent qu'elle pèse de tout son poids sur le chef de guerre pour le maintenir sur le lit. Comme un critique italien l'a relevé, Judith semble essayer de ne pas se tâcher avec le sang qui gicle du cou de sa victime. Ce tableau a une variante : Judith y porte une robe bleu et non jaune, le cadrage de la scène est plus serré : on ne devine aucun élèment de décor et le jet de sang a disparu.
Les deux autres tableaux font suite à la décapitation. Abra emballe la tête d'Holophernes dans un sac. Tout l'art de ce deuxième opus réside dans le jeu de contraposto et de chiaroscuro. Le dernier enfin, représente Judith et sa servante s'en allant après la besogne accomplie. Judith a le glaive sur l'épaule, Abra porte le panier contenant la tête d'Holophernes. Si ce n'étaient le glaive et la tête, on dirait deux femmes rentrant des champs avec le fruit de leur travail. Elles se retournent, peut-être à cause du cri d'alarme poussé à la découverte du cadavre. C'est pour Artemisia Gentileschi l'occasion de faire montre de son art de rendre les textures, les matières. On y découvre 3 profils bien différents : celui de Judith en pleine lumière, celui d'Abra dans l'ombre et celui d'Holophernes gris-vert dans le panier.



Le Metropolitan Museum de New York avait consacré une très belle et intéressante expsoition à la famille Gentileschi (Orazio, le père et Artemisia, la fille) en 2002 : Orazio and Artemisia Gentileschi : Father and Daughter Painters in Baroque Italy.

Judith est une figue complexe mêlant eros et thanatos qui peut être vue comme une image de l'Eglise chrétienne à un moment de son histoire.

jeudi 8 janvier 2009

Rothko, Tate Modern, Londres

Voir Rothko demande du temps car l'aspect méditatif des œuvres demande un travail de l'œil pour y repérer les variations et les nuances (surtout dans les œuvres noires tardives ), mais aussi un déplacement dans l'espace vu la dimension des œuvres : l'œuvre nous englobe, nous dépasse, nous déborde (surtout dans cette exposition où elles étaient accrochées beaucoup trop haut!). Seule l'association du travail de l'œil et du déplacement corporel permet de percevoir les effets de mouvement dans les toiles. Car il y en a ! Rothko n'est pas le peintre du statisme qu'on croit. Il y un jeu subtil de brillances, d'ondulation de la couleur, de réverbération ou d'absorption de la lumière. Parfois le changement est radical. Y a-t-il un seul point-de-vue à partir duquel l'œuvre se révèle entière, toute entière? Les grands formats rendent impossible une telle approche. Ainsi l'uniformité d'un espace disparait au profit d'un camaïeu en fonction de la position plus ou moins haute de l'œil par rapport au tableau. La vision de biais modifie aussi l'œuvre en renforçant l'uniformité du fond et du carré et mettant en exergue le fond qui sert de cadre à tout cela. Les oranges deviennent poudrés, gazeux. Dans le Red on marron (Tate collection, 1959), le changement est radical : vue du côté gauche, la bande vire très rapidement au rouge très sombre. Vue de droite, la bande inférieure semble moins rouge et la bande supérieure marron.
Ce qui me semble plus intéressant pour parler de la dernière série des Black on grey et de ses effets est l'idée de poids sur laquelle Rothko semble jouer, alors que ce concept semble inapproprié pour la série Seagram, où ce qui joue est plutôt l'effet de rythme (même si cette proposition de lecture est hypothétique du fait de l'absence absolument certaine d'une installation spécifique) et de densité : du gazeux, aérien, poudré, voire évanescent, diffus dans le cas de Black on maroon (1959), au cerné, démarqué, net.
Face à ce Black on Maroon de la Seagram série, j'ai confirmé la validité de la démarche spatiale : à 2 mètres du mur, la toile accrochée à 1 mètre du sol, on ne perçoit pas la forme, on ne perçoit que deux colonnes de fumée qui montent.
On perçoit d'étranges effets de mouvements dans les gris de la dernière série Back on grey, des mouvements circulaires, des transparences du fait d'une application épaisse, dense de la matière picturale. Rothko y pousse au plus loin les effets de vibration et de densité sur lesquels il travaillait.
Le mini-site de l'exposition est toujours actif et très instructif.

mardi 6 janvier 2009

Bacon, Tate Gallery, Londres

C'est une exposition de conservateur qui cherche à identifier des thèmes dans les différentes "périodes" de Bacon, par exemple le thème de l'animal entre 1944 et 1947, le thème de la zone dans les années 50, celui de l'appréhension au milieu des années 50 etc. Je ne suis pas du tout sûr que cela corresponde à quoi que ce soit chez Bacon... De même, un rapprochement est proposé entre certaines figures isolées et l'existentialisme, ce qui me semble complètement hors propos, à moins de faire des œuvres de Bacon des illustrations pour les couvertures des livres de Sartre, Camus ou Nizan. Dans tous les cas, ces lectures et approches sont tout à fait étrangères aux motivations et démarches de Bacon, même si elles permettent de l'insérer dans une histoire de l'art plus générale.
Je connaissais la plupart des tableaux exposés, mais c'est toujours bon de les revoir et d'en éprouver la présence irremplaçable.
Avec des moyens radicalement différents, plus abstraits en un sens, Bacon est parvenu à montrer, tout comme Lucian Freud, la présence de la chaire et même au-delà. Quel est en effet l'état mental global et pas seulement les sensations tactiles qu'on éprouve en faisant l'amour ? Dans Deux Figures dans l'herbe (Two Figures in the Grass, 1954, collection privée, Paris), on ressent cette d'impression tragique d'un désir ardent d'une impossible fusion dans l'autre et pourtant la tentative acharnée d'y réussir.
J'ai découvert les travaux préparatoires à Figure dans un paysage de montagne (Figure in a mountain landscape, 1956, Kunsthaus, Zurich) d'une extrême fluidité, une simple ligne qui danse, sans contenu, sans matière, très étrangère aux formes charnelles et pleines du tableau qu'ils ont permis. Je n'ai pu trouver de reproduction de ces travaux préparatoire. Il serait intéressant de se livrer à une comparaison de cette Figure dans un paysage de montagne et du Le voyageur au-dessus de la mer de brume de Capsar David Friedrich (Der Wanderer über dem Nebelmeer, 1818, Kunsthalle, Hambourg), d'autant plus que l'œuvre de Bacon date d'un moment de sa production où il se référait explicitement aux maîtres du passé (VanGogh, Matisse). Au delà des différences de techniques picturales et de tonalité d'ensemble, la disposition de cette figure est contraire à celle de David Friedrich : la figure n'y domine pas le paysage, elle y est insérée, comme l'un de ses éléments, à tel point qu'il n'est pas aisé de la distinguer des roches. Si j'ai le temps, un jour, j'essaierais de creuser ce parallèle. J'ai noté également, tout particulièrement à propos de Trois figures dans une pièce (Three figures in a room, 1964, Centre Georges Pompidou, Paris) que l'épaisseur de la pâte n'a pas pour effet quelque chose de plastique mais est un ressort de la couleur et du jeu de la lumière, un outil parmi d'autres pour faire du clair-obscur. Cette épaisseur n'intervient par ailleurs que sur les corps, jamais sur les visages. Je n'ai trouvé qu'une petite reproduction de cette œuvre, mais on peut en voir des agrandissement ici, même s'ils ne sont pas très fidèles du point de vue des couleurs.
Enfin, j'ai découvert deux œuvres tardives intéressantes :
  • Blood on pavement, 1988, Collection privée
  • Triptyque, 1991, Moma, New-York City. L'ultime triptyque de Bacon.
Le mini site de l'exposition est encore actif et très intéressant.