mercredi 30 juin 2010

Molière & Lully, Le bourgeois gentilhomme, Lazar & Dumestre

Quelle étrange expérience que cette mise en scène du Bourgeois gentilhomme par Lazar! lui et ses Enfants de Molière nous convient à un retour dans le passé de notre langue, de nos arts et de notre culture. Son projet consiste à être au plus prêt historiquement des spectacles montés par Molière et Lully, tant par la diction, les costumes, les décors et bien sûr les ballets!
Le français tel qu'il est prononcé sonne étrangement à nos oreilles car si nous savons que notre langue a une histoire, faisant entrer dans l'usage certains mots ou expressions et en faisant tomber d'autres en désuétude, nous oublions qu'il en va de même pour la prononciation. Ce français paraît affecté, un peu outrancier mais il rend merveilleusement à la fois les registres de langues correspondant aux différentes classes sociales des personnages mais aussi les origines régionales.
La scène n'est éclairé qu'à la bougie, redonnant vie aux fameux de la rampe. Le décor est unique et indique un intérieur bourgeois. Il m'a rappelé (simple coïncidence ou référence consciente?) le décor de la mise en scène d'Atys de Lully par Villégier en 1987 : une salle au murs lamés d'or sombre, aux multiples entrées. Les costumes sont bariolés ou très simples en fonction du caractère des personnages et des moment du drame (la grande turquerie étant bien évidemment chamarrée).
Quant à la musique et à la danse... Car on a tendance, trace des classes de lettres modernes, à envisager les pièces de Molière uniquement comme des chef-d'œuvre pour le théâtre. Mais le théâtre est avant tout une scène sur laquelle tout peut se produire. Molière dans cette mise en scène sort du Lagarde et Michard pour redevenir l'homme des tréteaux et des baladins. On oublie trop souvent que les deux tiers de ses pièces sont des comédies-ballet car combien sont encore montées intégralement et fidèlement de nos jours ? Or l'intrication du théâtre, de la danse et de la musique n'a jamais été aussi forte que dans ce Bourgeois gentilhomme! Molière y manifeste même un réflexion extrêmement riche sur le genre du ballet, sur la spécificité des arts, leurs pouvoirs et leurs limitent.
Je recommande très fortement de lire le chapitre V de l'essai de Mark Franko, La danse comme texte, Idéologies du corps baroque (pp.143-174) publié chez L'éclat en 2005 (contre-rendu de lecture ici). Il analyse de ce point-de-vue l'évolution du rapport entre drame et ballet chez Molière et montre que ses créations mettent en scène les limitent mêmes du genre appelant un renouvellement formel qui ce fera sans lui, puisque ce seront Lully et Quinault qui proposeront la tragédie lyrique. Pour les néophytes ou les pressés, je recommande la lecture lumineuse des quelques pages (pp.403-407) de l'Histoire de la musique occidentale sous la direction de Jean et Brigitte Massin chez Fayard.
La musique réserve des petits joyaux ("je languis nuit et jour", le premier air composé devant nous par l'élève musicien et le dialogue en musique du premier acte dans le gout de la pastorale) et Dumestre au pupitre sait donner vie ou suavité à son orchestre.
Les danses quant à elles sont gracieuses et il faut être attentif aux mouvements de mains, très travaillés.
On peut regretter des longueurs (par exemple la scène de Mamamouchi), un manque de mordant et une captation vidéo qui privilégie les gros plans aux scènes d'ensemble, mais l'ensemble a le mérite d'exister et prend un risque par son souci de fidélité, comme si le théâtre vivait lui aussi à l'heure des baroqueux d'antan!
Je préfère de loin, cette version à celle d'Hugo Reyne et de sa Symphonie du Marais, enregistrée en public mais pas filmée, car cette dernière redistribue complètement tous les numéros : les ballets des nations ouvrent la pièce et la turquerie la clôt! Elle est peut-être plus drôle pour un auditeur non averti mais elle est reconstruite pour obtenir le maximum d'effet en éviter que le spectateur décroche.

dimanche 13 juin 2010

Léonard et Machiavel - Patrick Boucheron

Patrick Boucheron se livre dans cet essai (Verdier, Paris, 2008) à un exercice difficile : mettre des mots, tracer des liens, reconstituer des échanges entre deux figures majeures de la Haute Renaissance italienne : Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel. L'historien éprouve une nécessaire frustration face à ce cas car on sait que les deux hommes se sont rencontrés. Il ne peut en être autrement. Et pourtant aucune mention au sujet de l'un ou de l'autre dans leurs nombreux écrits respectifs. Que faire face à ce vide, ce silence de l'histoire? Deux solutions sont possibles. Inventer un récit, une fiction. L'auteur prend la parole et place la sienne dans la bouche de nos deux protagonistes. Ou bien, tenter avec ce qu'on sait de dessiner le monde que les hommes ont partagé, leurs missions, leurs inquiétudes, leurs échanges peut-être. C'est ce que fait ici Patrick Boucheron avec beaucoup d'érudition mais aussi d'élégance dans l'écriture. Son essai est historique au sens où il suit le parcours des deux hommes. Son interprétation propose de rapprocher l'expérience politique de Machiavel et ses analyses et prescriptions politiques de la quête incessante et inachevée par Léonard  du mouvement et de la fluidité. Il faut avouer que le rapprochement a du sens car il éclaire l'œuvre à la fois du philosophe et celle de l'artiste, tout en pointant une des mutations intellectuelles de la Renaissance.  On doit donc recommander cet ouvrage à tous ceux qui veulent approfondir leur connaissance de la Haute Renaissance italienne. Il a le grand mérite d'oser un parallèle précis entre arts et lettres, ce qui, à ma connaissance, est relativement rare. Il permet aussi à ceux qui ont déjà une bonne connaissance de la période de mettre dans une nouvelle perspective des informations ou des œuvres dispersées. On déconseille donc l'ouvrage à ceux qui cherchent une fiction, tout comme à ceux qui cherchent une initiation. La bibliographie est très utile.

lundi 7 juin 2010

Le Chamarré Montmartre

A l'occasion d'un anniversaire très spécial, j'étais confronté à la difficulté de trouver un restaurant romantique (sans être chichi-pompon) et gastronomique (sans être pépère). Si en plus, il pouvait être à une encablure de la maison et avec un terrasse c'eut été génial... sauf que quand on habite à le goutte d'or, à part les kebabs et les couscous... Mais la butte n'est pas loin et je me souvenais d'un restaurant plus traditionnel mais dont le carte était appétissante, le Beauvilliers... qui a fermé, pour être repris par Monsieur le Chef Antoine Heerah.
Bien évidemment, en terrasse à Paris à la mi-juin, le temps était un peu frais mais le cadre est agréable sur une terrasse couverte, surplombant les escaliers de Montmartre, protégée par un grand arbre.
Le service est correct mais nous dûmes faire face à un oubli en cuisine qui nous fit attendre plus de 20 min notre foie gras poêlé... qui valait l'attente cependant je dois reconnaître.
D'autorité j'ai opté pour un menu gastronomique accompagné de 5 verres de vins en accord avec les plats.
Trois qualificatifs me viennent au sujet de la cuisine de Monsieur Heerah : extrêmement maîtrisée, métissée et audacieuse. Je vous laisse en juger par le menu :
  • Mignardise : crème de patate douce, petits oignons fondants
  • Amuse-bouche : Lisette sur toast aux épices et légumes verts croquants, crevette bleue crue au caviar citronné et mousse de corail aux langues d'oursin
  • Vin : Sancerre, 2007 "Les Chasseignes" Claude Riffault
  • Première entrée : Foie gras poêlé sur roquette avec condiment d'orange sanguine
  • Vin : Montlouis
  • Deuxième entrée : Langoustine du Guilvinec 3 façons : en tartare, mi-cuite en carapace,
    la chair des pattes aux agrumes.
  • Poisson : Dos de bar de ligne croustillant, brocoletti aux olives vertes du Roussillon
  • Vin : Vouvray, 2006 "Les Argiles" François Chidaine
  • Viande : Carré d'agneau au jus et purée d'aubergines
  • Vin : Crozes-Hermitage, 2006 Domaine des Lises
  • Mousse légère au citron et meringue gourmande
  • Salade de fruits frais
  • Vin : ??? La précision des souvenirs est inversement proportionnelle à l'alcoolémie...
Je ne regrette pas du tout mon choix et le rapport qualité/prix est raisonnable pour ce genre d'adresse, surtout qu'elle reste encore un peu confidentielle (le 18e c'est tellement loin de Paris !!). Le menu déjeuner, très abordable, est à découvrir à mon avis...

dimanche 11 avril 2010

Abades Triana, Séville, Espagne

Voici le décor de rêve du restaurant dans lequel j'ai été invité par ma moitié pour fêter mon anniversaire. Séville est une ville où il fait bon vivre, le Guadalquivir, le parfum des fleurs d'orangers, l'Alcazar et... la cuisine! Des simples tapas aux délices de ce haut lieu de la gastronomie moderne sévillane. Bien que le restaurant ressemble de l'extérieur à un gymnase moderne posé sur les quai, l'intérieur est d'un gout discret, les tables suffisamment éloignées les unes des autres pour préserver l'intimité de chacun, le service très efficace (un peu rapide peut-être) et le tout offre une vue magnifique de la ville , en particulier la Tour d'Or.
Dans l'assiette? Le travail d'Oscar Fernandez et Elias del Toro. Qu'ils soient remerciés!
Voici le menu tel que j'ai pu le comprendre, n'étant pas hispanisant :
  • Encornet frit sur lit d'épinard bouilli au sésame et pois chiche
  • Vin : Xérès blanc Tio Pepe
  • Salade mesclun aux copeaux de foie gras, dés de cochon noir, groseilles et vinaigrette à la framboise.
  • Tortilla de foie gras frais au chèvre
  • St-Jacques poêlées, fine tranche de jambon et croutons dans un velouté au potiron
  • Filet de limande, pâtes thaï, chorizo et sauce à l'ail
  • Vin : un chardonnay
  • Filet mignon de veau, couscous à la cannelle, ananas au jus
  • Vin : un rioja rouge. Lequel? La précision des souvenirs est inversement proportionnelle à l'alcoolémie...
  • 4 fromages dont un très bon brebis frais ainsi qu'une pâte dure semblable au parmesan
  • Sorbet orange
  • Vin liquoreux à l'orange
  • Quenelle de ganache sur un petit gâteau moelleux au chocolat blanc et au thym
  • Pâte de fruit à l'orange, guimauve à la fleur d'oranger et cookie au chocolat salé
Un très bon moment, une cuisine inventive et ancrée sur les produits locaux et un être cher comme suggestion d'accompagnement...

jeudi 11 février 2010

Mozart, Idomeneo, Opéra Garnier


Pas grand chose à applaudir hier soir à l'Opéra Garnier et pourtant... On nous annonçait Haim, la chef baroqueuse, Villazon dans le rôle d'Idoménée et Netrebko dans celui d'Electre... sauf que Haim a jeté d'éponge devant l'orchestre de l'Opéra de Paris, que Villazon a un kyste dans la gorge et que Netrebko a dû suivre son mari et a renoncé également. Tout ce qui restait donc c'était la mise en scène de Bondy...autant dire moins que rien. Le laconisme de la direction de l'Opéra de Paris concernant ces déprogrammations est pour le moins cavalier. Lorsqu'on prend un abonnement à l'opéra (une des seules chances d'avoir des places pas trop chères et pas trop mauvaises), on le choisit en fonction des distributions prévues. Que reste-t-il à faire pour les abonnés en cas de changement? Donner ou revendre sa place, ou bien y aller quand même en espérant que... malgré tout... J'ai déjà été confronté à ce problème au Théâtre des Champs-Élysées mais la relève s'était avérée assez bonne... Ce qui fut loin d'être le cas à Garnier.
Haim d'abord. Il semble qu'il y ait eu incompatibilité entre la chef et l'orchestre, ou que du moins, les répétitions nécessaires pour amener l'orchestre à l'esthétique voulue par Haim était incompatible avec les contraintes de programmation de l'Opéra. Orchestre rebelle ou Haim incapable d'expliquer ce qu'elle veut? La direction d'Haim est en effet pour le moins surprenante. Son succès, à défaut de sa qualité, ne s'appuie-t-il pas sur les excellents artistes dont elle parvient à s'entourer et qui de ce fait n'ont pas besoins de beaucoup de direction? Philippe Hui la remplaçait donc hier soir. Sagement, même s'il parvient à quelques beaux élans. Dans l'ensemble je n'ai pas entendu la variété des émotions que la partition convoque.
L'orchestre n'est pas mauvais, il fait preuve par moment de belles subtilités mais il lui manquait un chef qui emporte le tout. Au sein de cet ensemble pourquoi avoir choisi un pianoforte pour les récitatif? Certes, l'instrument a été joué par Mozart mais est-on sûr que c'est bien ce qu'il faut pour un opera seria? Ce genre ancien ne demandait-il pas un instrument plus traditionnel comme le clavecin?
Vocalement, la seule qui s'en sorte un peu est Tamar Iveri dans le rôle d'Electre. Tout le reste de la distribution est moyen, à la limite du médiocre. Charles Workman manque singulièrement d'agilité vocale, ce qui dans un opera seria, c'est-à-dire avec aria da capo où la reprise est l'occasion de démonstrations lyriques, est un comble. Vesselina Kasarova est un bien pâle Idamante, peu expressive, pas très bonne comédienne. Quant à Ilia, rôle pourtant superbe car c'est elle finalement la grande héroïne de cet opéra, un personnage entre la Phèdre de Racine et l'Iphigénie de Gluck, Isabel Bayrakdarian doit retourner à ses études. Rien que le récitatif d'ouverture n'est pas bien donné : mal joué et surtout pas musical. Quant à l'air qui suit n'en parlons pas! Rien n'est en place! On atteint le comble dans la reprise de son second air de l'acte 2. Imaginez donc ce que donne tout ce beau monde dans le trio et le quartet final!!! Abominable!
La mise en scène ne l'est qu'au sens littéral du terme. Bondy n'a rien fait. Le plateau incliné (qui par ailleurs grince très fort à un endroit) qui s'avance sur la fausse et au centre duquel un carré mouvant se dessine ne figure rien ou tout : une place, une plage, un temple... En toile des fond des vagues de différentes formes et couleurs qui ressemblent beaucoup à celles qu'on trouve sur des voitures tunées des années 80. Tout ce qui anime un peu cet ensemble, ce sont les éclairages qui dessinent des perspectives ou rendent des ambiances atmosphériques. Quand au choix d'ancrer l'histoire dans un temps historique déterminé (un approximatif après Seconde guerre mondiale), ce n'est ni plus ni moins qu'un contresens. Le livret (mauvais par ailleurs, on le sait, Mozart s'en est suffisamment plaint) indique que des prisonniers sont libérés, puis qu'un malheur s'abat sur la population, ergo les prisonniers sont libérés d'un camp et on met des cadavres emballés dans des sacs plastiques sur scène!!! On joue même la corde sensible en faisant venir une mère avec un enfant mort dans les bras, une pieta pendant que Idoménée déplore son sort... Toute la grandeur tragique créée par la distance disparait. Jamais on ne montre un corps mort sur la scène d'une tragédie classique alors que penser d'Arbace qui s'ouvre les veines sur scène??? Et pourquoi faire courir le chœur sur scène faisant ainsi un gros bruit de galoches qui couvre l'orchestre?? Pourquoi disposer sur le sable de l'avant-scène des déchets, comme les laisses de la mer? Pourquoi, au tout début du 3e acte couvrir le visage d'Ilia d'une sorte de voilette? A côté de cette plage salie, on dirait qu'elle a du goëmon ou un filet de pêcheur sur la figure!!
La faible puissance des applaudissements en fin de représentation semble confirmer mon opinion.
Cet opéra de Mozart n'a pas eu ici des assistants à sa hauteur. Il est pourtant, malgré ses défauts, d'une grande complexité et d'une grande beauté. 3 références pour le prouver. La subtilité de la partition est analysée avec un grande précision par Harry Halbreich dans Avant-Scène Opéra n°89. De grands interprètes peuvent rendre tout ce que comporte la partition. La preuve : l'enregistrement pas Levine avec Domingo dans le rôle d'Idoménée (même s'il y aurait des remarques à faire...), Bartoli dans le rôle d'Idamante (un peu trop roucoulante mais quelle merveille d'émotion!) et Grant Murphy dans le rôle d'Ilia (légèreté, gravité et agilité). Enfin, pour une mise en scène qui respecte d'esprit de la tragédie lyrique et de l'opera seria : celle de Pier Luigi Pizzi au Théâtre San Carlo de Naples dirigée par Marco Guidarini.

lundi 8 février 2010

Chopin, Alain Planès, Théâtre des Bouffes du Nord

La déferlante Chopin bat son plein et les Bouffes du Nord étaient bien remplies ce soir. Alain Planès donnait un programme que Chopin avait joué le 21 février 1846 sur pianoforte Pleyel avec lequel Chopin avait joué. Nous étions dans une approche doublement historienne. Le pianoforte était une belle pièce de musée qui a suscité la curiosité de nombreux auditeurs pendant l'entracte mais que les agents du théâtre gardaient à distance. Le programme était varié mais dans l'ensemble des pièces plutôt lentes, rien de très brillant, comme certaines valses. Le son du pianoforte semble en avoir surpris plus d'un. Il est vrai que le son est moins clair et puissant qu'un piano classique. Les morceaux se révélaient ainsi beaucoup plus nostalgiques et Chopin moins romantique, au sens courant du terme. Pourtant il me semble que le jeu constant de Chopin sur les modulations à l'intérieur d'une même composition se font plus entendre sur cet instrument. Planès un musicien d'une grande subtilité. Il est très exigeant. Il attend que le public ait fait un silence complet avant de jouer et il a manifesté un signe d'agacement (légitime!) quand une impolie a fouillé dans un sac plastique bruyant!
Une soirée exigeante à tous niveaux.

lundi 25 janvier 2010

David Greilsammer, Théâtre des Bouffes du nord
























Je connaissais les bonnes mises en scène de théâtre au Théâtre des Bouffes du nord, je commence à découvrir leur programmation musicale. Il semble que la nouvelle direction du théâtre veuille consacrer plus de soirées à la musique classique. D'où les lundis soirs musicaux.
Ce soir, la révélation des Victoires de la musique classique de l'an passé : David Greilsammer. Pour préparer ce concert j'avais écouté l'enregistrement primé : Fantaisie-Fantasme. Étonnant mais très actuel : un programme de classiques "classiques" (Bach, Brahms, Mozart) et de classiques "modernes" (Keren, Ligeti, Cage). L'intérêt d'un tel choix réside dans le dialogue ou les contrastes qui naissent de la succession des morceaux, parfois même de leur parentés. Pour ceux qui connaissent et aiment Bach ou Brahms, Greilsammer offre l'opportunité de les écouter autrement (n'est-ce pas le mérite d'une interprétation?). Pour ceux qui ne connaissent pas, voire abhorrent le musique moderne, ce pianiste et ce choix sont une très bonne initiation.
Le même esprit habitait la programmation de ce lundi soir, qui n'avait attiré que bien peu de monde (comparé au soir de Chopin par Planès, voir billet suivant). Le pianiste lui -même dans le programme le précisait. Il s'agissait d'enchaîner parfois sans silence des compositions modernes (Glass, Byrnes, Muhly, Porat) et des morceaux de la tradition (Rameau, Frescobaldi, Mozart et Monteverdi).

David Greilsammer est un jeune homme (aux lourds et nombreux engagements comme le rappelle le programme...), mince, à la chevelure bouclée qui s'est présenté en costume noir et chaussures dorées. Le récital a commencé par une morceau lent, dans un esprit un peu jazz en effet qui s'est prolongé sans interruption par la gavotte de Rameau et ses doubles qu'il a joué d'une manière inouïe, et pourtant j'en ai de nombreux enregistrements... Les conservateurs crieront à l'hérésie, pour ma part je trouve qu'il a réussi à me faire entendre ce que je n'avais pas jamais entendu dans Rameau. Le pianiste se montre par contre beaucoup plus traditionnel, presque académique dans Mozart. Les pièces continuent de s'enchaîner et les partitions de tomber car Greilsammer semble avoir l'habitude de laisser au sol ce qu'il vient d'achever. Deux grandes découvertes : un version pour piano de L'Orfeo de Monteverdi dont je n'ai pas pu identifier précisément la source. Ensuite en création mondiale : Whaam! de Matan Porat, présent dans la salle. Encore un morceau très jazz, inspiré par le hard bop et qui se clôt par la fermeture violente du couvercle du clavier et l'éjection rapide du pianiste de son tabouret!! Une quasi performance!
Une belle soirée découverte.

dimanche 3 janvier 2010

Bacon / Picasso, La vie des images - Anne Baldassari

A la suite de l'exposition "Picasso et les maîtres" au Grand Palais et en préparation de ma visite à la Tate de l'exposition Bacon, j'ai enfin lu ce livre qui m'avait été offert il y a un moment. Cet ouvrage semble justifier l'analyse que faisait Malraux de la fameuse inspiration dans Les voix du silence. Il y affirme en effet que : "De même qu'un musicien aime la musique et non les rossignols, un poète des vers et non les couchers de soleil, un peintre n'est pas d'abord un homme qui aime les figures et les paysages. C'est un homme qui aime les tableau". Anne Baldassari (RMN-Flammarion, Paris, 2005) s'est livrée à un très minutieux travail de recherche sur l'actualité des exposition de Picasso à Paris et à Londres au moment au Bacon décide d'abandonner les arts décoratifs où il s'était déjà fait un nom, pour devenir peintre, ce qui fut beaucoup plus difficile. Elle entre de ce fait également dans l'évoution psychologique de Bacon et le sens de sa référence à ce maître, figure paternelle, que fut Picasso. Elle identifie trois périodes qui consistent en trois modes de relation différentes. En 1927-1928, c'est la rencontre, le choc Picasso et la puissance de ses images : la relation ici celle de l'initiateur, Bacon parce que Picasso devient peintre. Entre 1929 et 1937, Bacon se livre donc à toute une série de recherches dans l'ombre ou la mouvance du Picasso des Baigneuses à la cabine. Il n'en reste pas grand chose, Bacon en ayant détruit la plus grande part. C'est la période de la recherche de son propre style en passant par Picasso. Enfin entre 1936 et 1944, année de la réalisation des Trois études de figures à la base d'une Crucifixion, Bacon parvient à un moment de synthèse de ses recherches autour de Picasso et se trouve lui-même comme peintre. L'érudition de cette recherche est jointe à un travail de synthèse très clair. L'iconographie est excellente et permet d'ouvrir d'autres regards sur Picasso lui-même. L'exposition du Grand Palais ne proposant pas de rapprochement explicite avec Bacon.