mardi 3 novembre 2009

Couperin par Pierre Citron et Rameau par Jean Malignon


Il était un temps où les ouvrages d'introduction à un auteur, un compositeur, un peintre ou un poète ne précisaient pas qu'ils étaient "...pour les nuls". Et pour cause ! au vu de leur exigence, ce qui sous ma plume n'est pas une critique, bien au contraire. Je viens de lire durant mon séjour à Lisbonne deux ouvrage d'initiation à deux grands musiciens français : Couperin et Rameau. Il s'agit bien en effet d'ouvrages de présentation de ces deux artistes et de leurs œuvres, ce ne sont pas des ouvrages destinés à des spécialistes. Cependant leur structure même, leur style et leur niveau d'analyses sont précis et demande du lecteur une véritable activité d'écoute. Ce qui m'a séduit dans ces ouvrages est leurs continuels renvois aux œuvres elles-mêmes : le livre ne prend la parole que pour mieux se taire et inviter à l'écoute et au plaisir de la musique. Au fil des pages, c'est donc une véritable anthologie (un "best of" en jargon moderne) qui est proposé. De plus, les auteurs de ces deux livres (Pierre Citron pour Couperin et Jean Malignon pour Rameau) ouvrent des perspectives étonnantes dans l'histoire de la musique. La lecture successive de ces deux ouvrages accentue d'autant plus cet effet car Citron montre que Couperin prépare Bach et Rameau et que Rameau ouvre lui-même, tout particulièrement dans ses opéras, aux recherches tant de Haydn que de Wagner. L'idée peut surprendre mais en y réfléchissant, elle n'est pas absurde. Les deux auteurs proposent ainsi des écoutes comparées très précises qui montrent bien que dans tout processus créatif il y a continuité et rupture. Deux ouvrages donc à recommander non pas aux débutants mais à ceux qui connaissent déjà et aiment la musique de Couperin et Rameau qui cherchent un guide pour approfondir leurs explorations.

L'iconographie est nombreuse mais dans les éditions dont je dispose, elle est en noir et blanc (l'ouvrage de Citron a cependant été réédité récemment aux éditions du Seuil). Intéressante pour Couperin, elle l'est beaucoup moins pour Rameau. On trouve également des discographies extrêmement datées mais de ce fait révélatrices de l'évolution des enregistrements classiques depuis les années 60. En ce qui concerne Rameau (car la discographie y est plus développée que pour celle de Couperin), seule la première génération des baroqueux, est à l'honneur : Kuijken, Leonhardt, Harnoncourt et, en France Malgoire. Les Arts Florissants de William Christie n'existaient pas encore et n'avaient pas apporté leur révolution dans l'interprétation de ce répertoire. Il y a peut-être là quelques propositions d'écoute à redécouvrir.

Verdi, Rigoletto, Chailly & Ponnelle


Mezzo a diffusé la semaine dernière le Rigoletto de Verdi par l'orchestre philharmonique de Vienne sous la direction de Chailly et dans la mise en scène de Ponnelle. Dans les rôles titres : Wixell est Rigoletto, Pavarotti est le Duc de Mantoue, Gruberova est Gilda. Cette vidéo doit dater de 1989, je n'en suis pas sûr.
Je ne dirais que quelques mots sur la musique car ce que je veux aborder c'est avant tout la mise en scène. Pavarotti n'est plus dans sa première jeunesse et parfois il crie là où il faudrait un peu plus de mezzo-voce ou de délicatesse, même si, il faut le reconnaître, le rôle du Duc s'y prête aisément. De ce point de vue Pavarotti a une énergie et une présence extraordinaires, il est presque gargantuesque dans la scène initiale. Observez sa bouche dans le duo d'amour sur le balcon quand il fait sa déclaration à Gilda, on dirait qu'il va la dévorer au sens propre.
Gruberova campe une Gilda très convaincante dans l'évolution dramatique du personnage : de la vierge enfant cloîtrée, à l'amoureuse débutante donc éperdue, puis à la femme aimée, violée et trahie pour finir en sainte martyre sur l'autel de son propre amour. Gruberova se révèle excellente dans les premiers duos avec son père, elle l'est moins à mes oreilles dans le fameux "Caro nome...", sa diction laisse parfois à désirer, même chose pour son legato et l'émotion affleure sans percer. Vous pouvez juger par vous même sur YouTube.
Wixell est un bon Rigoletto même s'il manque parfois de précision mais il parvient parfaitement à faire passer les émotions du personnage et c'est bien là ce que Verdi voulait.
Dans l'ensemble une distribution vocale correcte sans être exceptionnelle. Cet opéra a déjà reçu de plus somptueuses distributions (celle de Kubelik en 1963 apr exemple).

Le plus intéressant dans cette vidéo est son statut même car il ne s'agit pas d'un opéra sur scène qui aurait été filmé : c'est un film en tant que tel dont le scénario n'est rien d'autre que le livret. On a donc à faire à une vidéo entre deux genres. Les opéras sur scène filmés sont très inégaux : ils peuvent être excellents comme illisibles. On évite donc ici l'inconvénient de la caméra qui court après l'action ou qui ne livre qu'une partie de la scène. Le montage du film de la mise en scène de Ponnelle est vraiment cinématographique et de ce point de vue ce choix sert parfaitement l'action dramatique. Et ce d'autant plus que les décors sont somptueux : Mantoue, ses alentours et son Palais ducal, comme l'indique le livret (voir l'extraordinaire scène où Gilda révèle à son père son rapt dans le lit de la chambre du Duc!). Cependant, on n'a pas à faire à une mise en scène complètement réaliste, c'eût été trahir par l'image le refus verdien du vérisme. Au contraire, les choix de Ponnelle font de cet opéra un drame romantique au sens littéraire du terme, ce qui me semble particulièrement bien servir les intentions musicales de Verdi. Même si Hugo rejeta cet opéra pourtant issu de sa pièce, cette mise en scène me semble très fidèle à l'esprit du drame romantique français.
La scène d'ouverture est complètement baroque, mais un baroque revisité par Fellini : festin, vieilles femmes poudrées, décors à la perspective tronquée etc. (Voir un extrait sur YouTube) D'autres scènes se déroulent dans la ville de Mantoue où les murailles servent de toile de fond. Enfin la scène finale se déroule sur une barque au milieu du lac. L'image rendue se situe ainsi entre le réalisme historique, la caricature du baroque et le chromo fin XIXe, créant une atmosphère propice à l'illusion dramatique, bien plus parfois que celle produite sur scène. Tous ces choix servent parfaitement le déroulement de l'action dramatique et c'est en ce point que le film sert l'opéra.
Cependant, quand on assiste à un opéra, on est suffisamment éloigné des chanteurs pour ne pas voir distinctement leurs traits et les efforts qui s'y lisent. Et c'est là que le film a ses limites. Je l'ai dit plus haut de Pavarotti, le problème se rencontre aussi à propos de Gruberova. On ne peut pas dire qu'elle soit particulièrement belle, ni même jolie, pas même charmante. Son visage semble sorti d'un film expressionniste allemand et on la verrait bien plus dans un rôle de sorcière avec son nez pointu et son menton en galoche. La distance qu'oblige le plus souvent la scène a donc l'avantage de gommer les traits et les expressions trop distincts.
Dans l'ensemble une vidéo à voir, ne serait-ce que pour ce choix de mise en scène qui se révèle équilibrée malgré son âge.