samedi 9 mars 2013

Quatuor Emerson, Auditorium du Louvre

Pour mon deuxième concert du cycle de quatuors à cordes au Louvre, un des grands quatuors contemporain : le Quatuor Emerson, en pleine possession de ses moyens, en pleine maturité et cependant en mutation. Le violoncelliste David Finckel sera en effet remplacé par Paul Watkins à la fin de cette saison.
 Je connaissais leur intégrale des quatuors de Mendelssohn mais aussi un enregistrement plus ancien proposant le n°12 de Dvorák, le n°1 de Tchaïkovski et le n°2 de Borodine, une belle interprétation, surtout de Tchaïkovski. Je ne sais pas pourquoi mais je m'attendais à des musiciens plus jeunes (les photos des pochettes de disque sûrement...). Quoiqu'il en soit, ils ont proposé et exécuté un très beau programme : le n°3 de Schubert, l'opus 51 n°2 de Brahms et le n°12 de Chostakovitch. C'est tout particulièrement pour ce dernier que j'avais pris un billet, mais l'ensemble du programme m'a beaucoup plus. Même le Brahms ! Pourtant, je n'apprécie pas sa musique pour quatuor. Comme le résume très bien mon ami Nicolaï, on ne comprend pas trop ce qu'il veut faire. 

Le troisième quatuor de Schubert est très beau, très touchant. On y entre sans difficulté. Il nous berce, nous charme. Le plaisir est immédiat. C'est loin d'être le cas de Brahms dont l'écriture demande beaucoup d'attention. Il faut avoir déjà entendu pas mal de quatuors pour y pénétrer et saisir les intentions du compositeur. Peut-être est-ce l'enchaînement Schubert-Brahms qui m'y a fait entendre beaucoup choses que je n'avais jamais perçues, comme le jeu constant sur les modalités. A la suite du concert la lecture des pages que Bernard Fourrier consacre à Brahms dans son Histoire du quatuor à cordes, tome 1, m'a aidé à comprendre la structure du morceau mais aussi et surtout m'a donné de nouvelles clés pour mes prochaines écoutes. Si les Emerson se sont montrés irréprochables dans les deux premiers morceaux, intelligents et sensibles, engagés mais à l'écoute les uns des autres, c'est bien dans Chostakovitch qu'ils se dépassent et donnent le meilleur d'eux-même, comme si cette musique là leur parlait plus que toute autre. Un excellent concert et un des meilleurs quatuor que j'ai entendu qui prouve aussi son intelligence dans le choix de son programme.
Je viens très récemment de découvrir leur enregistrement intitulé Intimate voices. Je l'écoute en boucle ! Le quatuor en sol mineur opus 27 de Grieg et le quatuor en ré mineur opus 56 de Sibelius sont deux compositions très différentes mais superbes, et les Emerson les servent magnifiquement !

Céline Frisch, Bach, Clavier bien tempéré, Théâtre des Abbesses

Le théâtre de la Ville nous a proposé cette saison de réviser notre Bach tout en découvrant les talentueuses musiciennes françaises d'aujourd'hui. Aux Abbesses deux fois deux concerts ont été proposés pour réécouter les Sonates et Partitas pour violon seul par Amandine Beyer et l'intégrale du premier livre du Clavier bien tempéré par Céline Frisch. Deux concerts qui demandent de la concentration, tant pour l'interprète que pour l'auditeur. Céline Frisch le reconnaissait elle-même lors de ce son deuxième concert en donnant en rappel une pièce moins austère. Il est vrai que le Clavier bien tempé relève de l'exercice à la fois pour le compositeur mais aussi pour l'interprète dont le premier ne fut autre que l'un des fils de Bach, Wilhelm-Friedemann. Il en va de même pour l'auditeur car il est intéressant de saisir l'écriture particulière de chaque prélude et de chaque fugue, ce qui demande déjà deux types d'attention auditive différentes. Parfois les préludes non mesurés accordent aux oreilles un peu de repos entre deux fugues dont il faut suivre les lignes entrecroisées. Mais l'auditeur est aussi appelé à sentir dans quelle mesure chaque ton et demi-ton a une vibration, une couleur, un ethos particulier et que, en quelque sorte, il commande, ou du moins oriente, une composition spécifique.
Céline Frisch chemine à travers cette partition avec fermeté et clarté. Son jeu a l'austérité de celui du regretté Gustav Leonhardt. Je trouve même que ses interprétations aux Théâtre des Abbesses étaient encore plus ferme et dépouillées de tout lyrisme que celles de Leonhardt dans son enregistrement de 1973 chez Harmonia Mundi. Cette remarque n'est cependant pas une critique ! Loin de là ! Malgré tout le charme des interprétations "à la romantique" d'une Simone Dinerstein, Bach ne s'y retrouve pas. On saura donc gré à Céline Frisch d'oser le dépouillement, la clarté de la ligne, la musique comme science et non comme passion.

Une semaine de quatuors à cordes

4 concerts sur 3 jours pour découvrir de jeunes quatuors (Kelemen et Apollon Musagete), de vieux quatuors (Borodine et Tokyo), des compositions connues (le 2e Razumovsky de Beethoven, le 15e de Schubert, le quintette avec piano de Chostakovitch) et inconnues (les 5 menuets de Schubert, les deux valses opus 54 de Dvorák, le 1e quatuor de Tchaïkovski).
Quatuor Kelemen, Auditorium du Louvre, 20h mercredi 27 février 2013. 
 A priori un programme étonnant : le quatuor en si bémol majeur opus 76 n°4 de Haydn, connu sous le nom "Lever de soleil", puis, sans transition, le 5e de Bartók et enfin le n°2 Razumovsky de Beethoven. 4 jeunes gens arrivent sur scène et dès les premières mesures du quatuor de Haydn, on devine une musicalité extraordinaire. Tout au long de leur programme le Quatuor Kelemen a fait preuve d'une technique irréprochable, complètement dominée pour ne laisser entendre que le chant des instruments. 
Dans Haydn, ils restituent le fraicheur, la légèreté, l'esprit dansant de la composition. Le premier violon Barnabas Kelemen est tout particulièrement doué, son visage très expressif, parfois comique, est en écho à la musique. Il s'est même permis quelques ornements sur Haydn, qui, à ma connaissance, ne sont pas sur la partition. Tout cela démontre une maîtrise totale. 
Autant le quatuor de Haydn est lumineux et enlevé, autant celui de Bartók, que je ne connaissais pas est sombre, violent, plein de recoins, d'ombres et de mystère. Il faut y mettre de la force, voire de la violence, surtout dans le premier mouvement. L'ensemble des musiciens se sort avec brio des difficultés de cette partition à la fois étrange et très savante, essayant d'exploiter toutes les possibilités des 4 instruments. Parfois, ils sonnent avec la véhémence d'un orchestre, et d'autres fois, ils jouent sur la force des pizzicati en glissato.
Enfin, pour se remettre d'une telle pièce, le n°2 Razumovky de Beethoven. Je me retrouve en terrain connu, même si ce n'est pas mon préféré. Rien à redire sur l'interprétation proposée. Ici encore très beau chant des instruments, beaucoup d'engagement.
La salle a réservé un triomphe à ce jeune ensemble hongrois dont c'était le premier concert à Paris. On comprend peut-être dès lors le choix de ce programme. Ils ont voulu montré tout ce dont ils étaient capables... et ils ont réussi !
Quatuor Apollon Musagete, Auditorium du Louvre, 12h jeudi 28 février 2013.
Pour leur premier concert à Paris, ce jeune quatuor polonais proposait un programme que je ne connaissais pas : 5 menuets et 6 trios de Schubert, 2 valses opus 54 de Dvorák et le quatuor n°1 de Tchaïkovski. Un programme plus cohérent peut être esthétiquement, plus resserré chronologiquement et qu'on pourrait appeler les différents visages du romantisme. Les menuets et trios de Schubert regardent vers le passé et reprennent cette forme de danse ancienne, un peu grave, un peu lente qu'est le menuet pour l'appliquer au quatuor à cordes. Les valses de Dvorák mêlent la modernité de cette forme aux accents de la musique folklorique tchèque. Enfin, le premier quatuor de Tchaikovsky comporte des moments très très vifs, enlevés (fin du premier mouvement et dernier) et un mouvement central très paisible (Andante cantabile). Dans l'ensemble, la programmation privilégie les compositions symphoniques, aucun instrument n'a vraiment le dessus, même si le premier violon, Pawel Zalejski (à droite sur la photo) se montre plus engagé et musical que ses collègues, que j'ai trouvé un peu ternes comparés au Quatuor Kelemen. En bis, un très original tango de Stravinski. 
Un quatuor intéressant, à suivre, mais moins musical, moins chantant, moins virtuose que les Kelemen. L'articulation du discours, en dehors du premier violon, reste assez molle.
Quatuor Borodine avec Boris Berezovsky, Salle Pleyel, 20h jeudi 28 février 2013.
J'ai acheté un billet surtout pour la deuxième partie du programme : le quintette pour piano et cordes de Chostakovitch que j'aime particulièrement (l'intermezzo me tire toujours les larmes...). Je ne connaissais pas le premier quintette proposé, celui de Dvorák. Au moment où j'écris ces lignes, je suis en train de le découvrir par Rubinstein et le Quatuor Guarneri. Ce que j'entends me semble constituer un bel ensemble avec celui de Chostakovitch.
Après la relève, assurée par la jeune garde, les rising stars, les anciens : le Quatuor Borodine, le plus vieux quatuor existant. Leur interprétation à la Salle Pleyel hier soir été superlative. On sent qu'ils n'ont plus rien à prouver et ils n'en font pas trop. La maîtrise technique disparait et ne laisse percevoir que la musique. Le dialogue des cordes entre elles est superbe et le jeu ferme et vif de Berezovsky au piano s'y insère parfaitement. En retrait de la scène, dans ce grand espace qu'est la Salle Pleyel, le son du piano arrivait avant celui des cordes, ce qui a peut-être altéré légèrement l'écoute. Les 4 musiciens sont extraordinaires. Le phrasé, la clarté, le chant de leurs instruments respectifs sont un modèle du genre. Et comme prévu, non seulement l'intermezzo du quintette de Chostakovitch m'a tiré les larmes mais aussi les toutes premières mesures du violon dans le prélude. L'intermezzo de ce quintette est pour moi l'une des plus belles choses qui ait été écrite en musique, malgré sa forme modeste et peu classique. Je sens dans ce morceau que celui qui l'a écrit a connu la vie, dans ce qu'elle a de joyeux et de douloureux. Il s'en dégage une nostalgie jouissive, une douce tristesse que je ne retrouve que dans le regard des autoportraits tardifs de Rembrandt.

Quatuor de Tokyo, Théâtre de la ville, 17h samedi 2 mars 2013.
Concert d'adieux pour ce quatuor fondé dans les années 70 et qui mettra un terme à sa carrière en juin prochain. Comment choisir sa programmation quand on sait que c'est la dernière ? Jouer ce qu'on aime, je suppose. Le Quatuor de Tokyo donne l'opus 77 n°1 de Haydn, puis le quatuor en mi majeur de Webern (note automnale) pour finir le n°15 de Schubert, un programme assez classique donc. Le Théâtre de la Ville était plein pour ce concert d'adieux, bien que je ne trouve pas l'acoustique particulièrement adaptée au quatuor. Le son monte, se disperse et semble se perdre. 
Quoiqu'il en soit, les quatre musiciens nous ont donné une très bonne interprétation, équilibrée et mesurée mais vivante cependant. On pourrait comparer la qualité de ce concert à une pièce du répertoire donnée par la Comédie Française : c'est beau, c'est bien joué mais c'est un peu sans surprise.
Ils ont proposé en bis un mouvement d'un quatuor de Mozart. Ce que j'ai regretté. Non pour Mozart mais pour avoir sacrifié à ce rituel des rappels en jouant un fragment, en dehors de son tout organique. J'aurai aimé resté sur le n°15 de Schubert.

Au final, l'ordre chronologique de mes concerts correspond à l'ordre décroissant de mon plaisir esthétique. Les Kelemen m'ont emballé, le Tokyo m'a laissé simplement satisfait d'avoir entendu un des grands quatuor de l'histoire avant sa dissolution.