dimanche 8 juillet 2012

Paul Wittgenstein

Non, il ne s'agit pas d'une erreur, ce billet est bien consacré à Paul Wittgenstein et non à Ludwig Wittgenstein. Il est vrai que ma formation m'inciterait plutôt à parler de Ludwig plutôt que de Paul. C'est à l'occasion de recherche pour la rédaction d'une fiche sur le philosophe Ludwig Wittgenstein que je fus amené à faire connaissance avec son frère Paul. Des sites disjoints de mon paysage culturel se sont, grâce à lui, trouvés reliés. Je n'avais, du philosophe, qu'une connaissance relativement élémentaire. Je fut très surpris de découvrir des éléments de sa biographie qui en font un personnage extraordinaire. Parmi ces éléments biographiques, son frère Paul était mentionné comme un pianiste virtuose ayant perdu son bras droit pendant la première guerre mondiale et ayant commandé des pièces de piano à de grands compositeurs du début du siècle. Ma réaction première à la lecture de cet article de Wikipédia, fut de relever ce qui me semblait être un paradoxe : comment pouvait-on encore jouer du piano avec un seul bras et commander dés compositions malgré ce handicap ? J'ai donc poussé un peu plus avant mes recherches sur Paul Wittgenstein et j'ai découvert qu'il avait bien mené une carrière de pianiste virtuose malgré son amputation.
Ci-dessous la liste des compositions dont il avait été le commanditaire ou destinataire :
Bortkiewicz Sergei : concerto n° 2 en mi bémol majeur op. 28 (1929)
Braun Rudolf : concerto (1927)
Britten, Benjamin : Diversions op. 21 (1942)

Demuth, Norman : concerto (1947)
Hindemith Paul : Klaviermusik op. 29 (1924)
Kastle, Leonard : concerto
Korngold, Wolfgang : concerto en ut dièse op. 17 (1923)
Prokofiev, Serge : concerto n° 4, op. 53 (1931)
Ravel, Maurice : Concerto en ré majeur (1932)
Schmidt, Franz : concerto n° 2 en mi bémol (1934)
Strauss Richard : Paregon zu Sinfonia Domestica, op. 73 (1925) et Panathenäenzug, op. 74 (1926)
Weigl, Karl : concerto (1924)

Britten, Hindemith, Korngold, Prokofiev, Ravel, Strauss !! Ce Paul ne manquait pas de crédit auprès des plus grands compositeurs de son temps ! C'est ainsi que par l'intermédiaire d'un frère, pianiste virtuose malgré son handicap, Ludwig Wittgenstein entra en relation indirecte avec des musiciens que je connais et que j'apprécie. De plus, Paul devenait un lien, un fil directeur parmi des compositions, des compositeurs, des esthétiques très différentes. Tout un nouveau réseau était à explorer. Enfin, le destin de cet homme me rappelait un texte de Sartre issu de Cahiers pour une morale portant sur la liberté : " Me voilà tuberculeux par exemple. Ici apparaît la malédiction (et la grandeur). Cette maladie, qui m'infecte, m'affaiblit, me change, limite brusquement mes possibilités et mes horizons. J'étais acteur ou sportif ; […] je ne puis plus l'être. Ainsi négativement je suis déchargé de toute responsabilité touchant ces possibilités que le cours du monde vient de m'ôter. C'est ce que le langage populaire nomme être diminué. Et ce mot semble recouvrir une image correcte : j'étais un bouquet de possibilités, on m'ôte quelques fleurs, le bouquet reste dans le vase, diminué, réduit à quelques éléments.
Mais en réalité il n'en est rien : cette image est mécanique. La situation nouvelle quoique venue du dehors doit être vécue, c'est-à-dire assumée, dans un dépassement. Il est vrai de dire qu'on m'ôte ces possibilités mais il est aussi vrai de dire que j'y renonce ou que je m'y cramponne ou que je ne veux pas voir qu'elles me sont ôtées ou que je me soumets à un régime systématique pour les conquérir. En un mot ces possibilités sont non pas supprimées mais remplacées par un choix d'attitudes possibles envers la disparition de ces possibilités. " Tuberculeux ou manchot, la vie de Paul Wittgenstein m'obligeait à me rappeler une des caractéristiques de l'existence humaine : la capacité de dépassement des données étrangères, voire opposées à la volonté de l'individu.
Ainsi Ludwig me conduisit à Paul qui me conduisit à tout un groupe de compositeurs mais également un retour à Sartre. En termes deleuziens, on pourrait dire que ma pensée fit ainsi jaillir un tout nouveau rhizome.