lundi 2 avril 2012

Grande semaine d'art vocal sacré

La Semaine Sainte devient de plus en plus à Paris une sorte de festival informel. Les salles ne se concertent pas mais le mélomane peut élaborer une belle programmation personnelle. Ce fut mon cas et je choisis principalement des œuvres et des ensemble que je n'avais jamais eu l'occasion d'écouter au concert.
Cette semaine commença lundi 2 avril avec La Création de Haydn par Accentus et Akademie fur alte Musik Berlin dirigés par Laurence Equilbey à Pleyel. Suivie, le vendredi 6 avril par les Extravagances sacrées à 40 voix de Monteverdi, Striggio et Benevoli par Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet à la Chapelle Royale de Versailles. Pour finir dimanche 8 avril par La passion selon Saint Matthieu de Bach par Les Musiciens du Louvre Grenoble de Marc Minkowski, de nouveau à Pleyel.
Bien que connaissant (un peu) et aimant (beaucoup) les quatuors de Haydn, je n'avais jamais eu l'occasion d'écouter ses œuvres vocales, opéras ou oratorio, et notamment sa fameuse Création. J'avoue, après écoute et malgré la somptueuse interprétation proposée par Laurence Elquilbey et l'Ensemble Accentus, ne pas être très emballé par l’œuvre. Est-ce le genre oratorio ou bien cette Création qui me pose problème ? Je ne connais pas beaucoup d'oratorio, mais ceux que j'ai écouté me laissent un avis partagé. J'aime beaucoup la Judtiha triomphans de Vivaldi, mais ma découverte récente du Judas Maccabaeus de Handel ne m'a guère séduit.
Pourtant, ce soir du 2 avril, à Pleyel, toutes les conditions étaient réunies pour pénétrer cette musique. Les solistes étaient aguerris et flatteurs : Sandrine Piau, Topi Lehtipuu et Johannes Weisser. L'Ensemble Accentus et l'Akademie fur alte Musik Berlin étaient magnifiques. Accentus fêtait ses 20 ans (et tout le gratin politico-culturel était présent, jusqu'à l'ancien Ministre de la culture) et la maturité vocale se percevait particulièrement bien. Quant à Laurence Equilbey, quelle femme ! Elle porte un costume d'homme car elle dirige comme un homme : d'une main de fer ! Qu'on est loin de l’évanescente Emmanuelle Haïm ! A aucun moment, elle ne laisse l'orchestre ou le chœur aller son chemin. Ce qui lui permet de ciseler l'ensemble des détails de la partition tout en les intégrant dans la vision d'ensemble d'une lecture cohérente. Une grande chef et un grand ensemble !

Le voyage dans l'espace pour ce rendre à Versailles fut aussi un retour dans le passé. A l'occasion de leur dernier enregistrement, la Chapelle Royale accueillait des œuvres vocales baroques par Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet : écrin somptueux pour œuvres rares. Après une entrée en procession depuis l'extérieure de la chapelle, les chanteurs et l'orchestre prirent place au centre en 4 groupes se faisant face, le public était réparti à l'avant et à l'arrière de la nef. Le projet d'Hervé Niquet consistait en effet à reconstituer un office des Fêtes de la Saint Jean à la Cathédrale de Florence. Ainsi s'enchainèrent la messe Missa sopra Ecco si beato giorno à quarante voix, le motet in cinque corri Ecce beatam lucem   (1561) à quarante voix, tous deux d'Alessandro Striggio (1537-1592), puis un plain chant du propre harmonisé de Francesco Corteccia (1502-1571), suivi du Memento à huit voix de Monteverdi (1567-1643); pour finir par les Laetatus sum, Miserere et Magnificat pour deux chœurs d'Orazio Benevoli (1605-1672).
La musique de Striggio mérite bien le terme d'extravagance vu les effectifs mis en jeu et la construction polyphonique qu'elle suppose. Une telle composition ne pouvait répondre qu'à une demande tout aussi exceptionnelle : le mariage de Guillaume Gonzaque, duc de Mantoue. Tout à fait conscient de ce qu'il vient de produire, Striggio, au service de la cour de Florence, écrit au duc le 21 août 1561 : "Je viens juste de composer une musique à 40 voix sur des paroles écrites en l’honneur de votre mariage. Une telle chose pour un si grand nombre n’a jamais été entendue jusqu’à aujourd’hui".
Toutes compositions de ce concert ont en commun une écriture polychorale virtuose et monumentale qui ne sacrifie pourtant pas la musicalité. Elles sont un écho à l'architecture qui les a vu naître. On suppose en effet qu'elles furent exécutées dans la cathédrale de Florence. Il ne fallait donc pas moins que la Chapelle Royale de Versailles pour de telles œuvres. Niquet a donc privilégié une disposition acoustique et non pas liturgique de ses musiciens. Il a pensé la disposition des chœurs et de leurs groupes orchestraux respectifs non en direction de l'autel, mais en fonction de l'espace de la chapelle qui devient un véritable instrument, un espace sonore vertical, une caisse de résonance. Pour l'auditeur l'effet est extraordinaire car les voix montent, se mêlent et résonnent bien au-delà de leur émission, pour gagner une sorte d'autonomie leur donnant une existence indépendante. Elles semblent comme flotter dans l'air.









Retour à Pleyel et à une extrême sobriété dimanche 8 avec La passion selon Saint Matthieu de Bach par Les Musiciens du Louvre Grenoble de Marc Minkowski. J'avais eu l'occasion d'entendre cette passion au Théâtre des Champs-Élysées en 2009 par Malgoire, La Grande Écurie et la Chambre du Roy, le Chœur de chambre de Namur et, entre autres, Paul Agnew, Olga Pasichnyk et Damien Guillon. Les choix esthétiques de Minkowski l'ont conduit à proposer une tout autre distribution vocale : il n'y a plus de chœur distinct des solistes. Ce sont des groupes de solistes (chœur I, II et Ripieno) qui forment le chœur. Ainsi, en dehors de l’Évangéliste dont le rôle est assigné à un seul chanteur (l'excellent Markus Brutscher), les autres chanteurs alternent dans les autres rôles. Pour l'auditeur, ce choix conduit à une dédramatisation du propos car il n'y a plus de dialogues entre des personnages distingués par leur assignation à un chanteur et un ensemble cohérent qui serait un chœur distinct. La passion en tant que genre semble dès lors rompre avec l'oratorio. Le drame est intériorisé et en quelque sorte spiritualisé par sa distribution au sein de l'ensemble des chanteurs. Tous prennent part à l'action, à la louange et à la prière. C'est donc une vision très liturgique qui est proposée par Minkowski. Une vision qu'il a déjà appliquée dans ses enregistrements de la Messe en si et de La passion selon Saint Jean. A découvrir ou redécouvrir !