mercredi 20 février 2013

Wagner, L'or du Rhin, Metropolitan Opera, New York

La mise en scène du Ring de Wagner par Robert Lepage au Metropolitan de New York vient de sortir en DVD. L'occasion m'est enfin donnée d'écouter, de voir et de juger cette production qui a tant fait parler d'elle. Je n'avais vu que Le crépuscule des dieux en direct à la Géode. J'écrirais certainement un billet sur ce dernier volet une fois que je l'aurais revu, mais je veux me concentrer maintenant sur ce prélude qu'est L'or du Rhin. Cette production souffre d'un hiatus entre le dispositif scénique, les costumes et la dramaturgie. Elle donne l'impression que trois personnes différentes ont été chargées de ces trois domaines sans qu'elles se consultent et qu'elles construisent ensemble une vision cohérente. J'ai beau reprocher tout un tas de choses à la mise en scène de Günter Krämer, elle semblait plus cohérente dans son genre. 
L'énorme machinerie sur le plateau qui offre en fait plusieurs plateaux en changement à vue et sur laquelle sont projetées des images (décors ou atmosphère) constitue la part la plus moderne de la production. Elle permet de faire surgir dans le vide les Nixen et de les replonger véritablement dans le Rhin.
Elle offre des moment de pure magie visuelle, comme lorsque Wotan et Loge descendent aux Nibelungen. Les personnages sortent de la coulisse à l'horizontale pour, progressivement, retrouver une position verticale.
Enfin, lorsque les dieux entrent au Walhalla, ils y montent véritablement, à la verticale.
On aura compris que la nouveauté de cette mise en scène est l'utilisation de toutes les dimensions spatiales du plateau. Ce qui demande cependant un certains nombre de filins, pas toujours discrets, et une souplesse que les chanteurs n'ont pas toujours (Loge n'est pas très à l'aise quand il s'agit de reculer sur un plan incliné). Et il me semble que cette mise en scène oublie, comme de trop nombreuses autres, que les chanteurs sont au mieux de bons acteurs, parfois de bons danseurs, mais qu'ils ne sont ni gymnastes, ni encore moins acrobates ou cascadeurs (surtout pas la pachydermique Stephanie Blythe dont la doublure assure la montée ci-dessus). 
J'en viens au second problème : la direction d'acteur. Si le dispositif scénique est très moderne, le jeu des acteurs ne l'est pas du tout : classique, statique, caricatural, sans aucun second degré alors que le texte le permet. Aucune lecture des personnages ne nous est proposée. Mais cette critique n'est peut-être que l'effet d'une énième captation vidéo absurde. Pourquoi nous montrer les chanteurs en très gros plan ? On voit leur effort physique pour chanter, la sueur inondant leur visage, la colle de leur perruque et parfois même leurs plombages...! Alors qu'on voudrait avoir un regard panoramique sur la scène et ce qui s'y déroule, sur la position des personnages les uns par rapport aux autres afin de mieux saisir leurs relation, la caméra ne nous offre que des plans rapprochés, voire serrés, ne révélant que les détails des costumes (hideux, j'y viens...). A l'opéra, on ne voit jamais les chanteurs comme les vidéos nous les montrent et c'est tant mieux ! Une bonne captation vidéo d'un opéra est une captation qui n'oublie pas que lorsqu'on est dans la salle on voit tout, même si on peut porter notre attention sur un ou plusieurs personnages. Ce problème me semble relever d'un manque d'humilité des réalisateurs qui refusent de considérer la vidéo comme un simple moyen. Le constat n'est pas nouveau, on peut faire le même au sujet du Ring de Chéreau. 
Enfin, les costumes de François Saint-Aubin ! Là encore, les choix rabâchés qui ont été faits contrastent totalement avec la mise en scène. Les dieux mâles (Wotan, Donner et Froh) ont tous les trois une armure avec les pectoraux et les abdominaux. Ils portent la jupe longue façon kilt. Loge est sanglé (voire saucissonné) de la tête au pieds dans un costume façon parachutiste et affublé d'une perruque dans le style de la fiancée de Frankenstein. Fasolt et Fafner ressemblent à des ewoks bodybuildés. Quant à Alberich, il est affublé d'une salopette en simili cuir ornée d'une énorme braguette lacée, quelque part en l'égoutier et le combinaison SM... Tout cela manque à la fois de grâce et d'audace. Là encore, aucune lecture nouvelle des rôles qui collerait avec le dispositif scénique.
Ne reste plus qu'à évoquer les voix et l'orchestre. Dans l'ensemble tout est de bonne tenue. Il est toujours difficile de juger de la qualité d'un orchestre lorsque l'on n'est pas dans la salle, mais celui du Metropolitan sert bien la musique de Wagner, dirigé par un Levine qui n'en est pas à son premier Ring. Sans évoquer la puissance tellurique de Karajan ou la modernité de Boulez, Lévine est convaincant tout autant dans les phases d'émotion que lorsque l'orchestre sonne tout entier. Vocalement, la distribution est inégale. Dans l'ordre d'apparition, les Nixen (Lisette Oropesa, Jennifer Johnson et Tamara Mumford) sont très bonnes tant vocalement que par leur jeu de scène et l'audace d'être suspendues dans le vide un bon moment. Eric Owens est un très bon Alberich. Il a le physique de l'emploi, même si on peut discuter le choix d'un afro-américain pour ce rôle. Il en a surtout la voix : puissante, orgueilleuse et vile. Ensuite, le couple divin : Wotan et Fricka, respectivement Bryn Terfel et Stephanie Blythe. Je passe rapidement sur cette seconde dont la voix, trop acide, ne me plait pas, pour évoquer le premier. La voix est puissante, massive mais la prononciation allemande me semble un peu molle. De plus, il incarne un Wotan monolithique alors que le personnage évolue au cours de l'action. Richard Croft incarne bien Loge mais ne manifeste pas l'aisance qui était celle de Heinz Zednik dans la production de Chéreau, même si vocalement il colle parfaitement au personnage. Le Mime de Gerhard Siegel est très bien vocalement mais son jeu fait du personnage une caricature (il mange ses crottes de nez...). Les Géants de Franz-Josef Selig et Hans-Peter König sont parfaits et montrent bien ce qui conduit le deux frères à s'opposer. Freia est parfaite aussi. Wendy Bryn Harmer a une voix fragile et claire. Adam Diegel est un peu léger en Froh, mais Dwayne Croft s'en sort bien en Donner. Pour moi, ces deux personnages sont des reliquats inutiles de l’œuvre. Dramatiquement inutiles, leur présence ne semble justifiée que pour meubler la scène. En murissant les volets suivants du Ring, Wagner va se débarrasser de ce genre de personnages pour recentrer l'action sur le devenir des héros. Grosse déception pour Erda. La pauvre Patricia Bardon, affublée d'une longue perruque blonde n'a pas la puissance vocale du rôle.
Dans l'ensemble une production qui n'est pas désagréable à regarder ni à écouter, loin de là ! mais qui apparaît un peu comme un rendez-vous manqué entre l'innovation technique et les autres dimensions de l'art de la scène. Ce n'est pas le Ring du XXIe siècle.

mardi 19 février 2013

Amandine Beyer, Bach, Sonates et partitas, Théâtre des Abbesses

Quel bonheur de commencer mes vacances par les Sonates et Partitas de Bach ! Certes, ce n'est pas une musique facile, elle demande de la part de l'auditeur une bonne concentration. Il m'est déjà arrivé de me laisser un peu emporter par le côté dansant de certaines pièces et ainsi de perdre le fil du propos, la perception de la construction de l'ensemble. 
Je n'avais jamais eu l'occasion d'écouter ces Sonates et Partitas au concert ni d'écouter Amandine Beyer sur scène. Je ne connaissais que son enregistrement Chaconne avec Edna Stern. Cet album est devenu un de mes préféré. La jeune pianiste y donne différentes variations écrites par des compositeurs d'époques différentes autour de la chaconne de la Partita n°2 en ré mineur BWV 1004. L'organisation des pièces n'est pas faite de façon chronologique mais plutôt en fonction des tempéraments. Le disque commence par la version très moderne de Ferruccio Busoni (ma préférée), jouant énormément sur les tempos et l'alternance des forte et pianissimo, pour enchaîner sur la version très romantique du maître d'Edna Stern, Rudolf Lutz, qui lui a dédié sa composition pour finir sur celle de Brahms dont on comprend que la recherche de la musique pure l'ait conduit à pénétrer l'écriture de Bach. Enfin comme la matrice de toute cette musique, la chaconne pour violon seul de Bach par Amandine Beyer. L'organisation de cet enregistrement invite à écouter différemment cet pièce finale qui pourtant fut écrite la première. J'aime d'autant plus ce disque qu'il renvoie pour moi à une conception de la musique comme combinatoire infinie de possibilités à partir de quelques éléments fondamentaux. Toute la création artistique n'est-elle pas qu'une éternelle variation autours du même de l'autre ? Et, encore une fois, ce qui inspire les artistes, ce sont les autres artistes.
Au Théâtre des Abbesses, c'est une femme moderne qui s'est présentée. Amandine Bey arrive en treillis de soie bleu nuit et petit pull, de simples mules aux pieds. Nous ne sommes pas à un grand récital au sens sociologique du terme et pourtant j'ai assisté à un très grand récital au sens musical du terme. Comme la violoniste le dit elle-même dans les notes du programme (ci-dessous), décider au concert de jouer les Sonates et Partitas ne peut consister qu'en un état des lieux du rapport de l'artiste à l’œuvre, rapport soumis au devenir, jamais interprétation définitive. Il est étonnant de voir Amandine Beyer, seule sur le plateau, sans partition, donner ces pièces d'une difficulté technique redoutable (faire sonner un instrument comme plusieurs instruments) avec une telle liberté. Même si elle ne confine jamais à la confiance. Par moment, elle n'est plus tournée vers son violon mais vers la salle et elle nous donne cette musique, elle nous parle par ses regards, non pas pour attirer notre attention sur un contrepoint ou une fugue mais comme une sorte d'offrande dont elle ne serait que la médiatrice. 
Le choix du violon baroque avec cordes en boyaux oblige à une petite adaptation de l'oreille mais permet aussi de mieux percevoir l'unité stylistique de chaque pièce, tout particulièrement la Sonate n°3. Il est intéressant de voir que deux jeunes femmes ont très récemment complètement renouvelé la discographie de ces pièces de Bach : Amandine Beyer et Isabelle Faust (qui n'utilise pas de cordes en boyaux). Je recommande d'écouter ces deux versions pour se rendre compte de la sonorité et du mélange exceptionnel de fraicheur et d'authenticité que les deux violonistes nous proposent.



Vassilis Alexakis

De cela aussi il faut malheureusement parler : les livres qui nous sont tombés des mains. C'est extrêmement rare dans mon cas, à la fois parce que je suis un lecteur entrainé, que les sujets qui m'intéressent sont très variés et enfin que je sélectionne rigoureusement mes lectures. Donc le fait que j'abandonne deux livres du même auteur (le premier au bout d'une centaine de pages, le second à la vingt-huitième page) est vraiment exceptionnel ! Pourtant les quatrièmes de couverture et un Grand Prix du roman de l'Académie française en 2007 avaient suscité ma curiosité. Vassilis Alexakis  aborde dans ses romans des problématiques philosophiques. Dans Le premier mot, un linguisque grec demande à sa sœur âgée de mener une enquête afin de savoir quel a bien pu être le tout premier mot prononcé par l'homme. Par principe, la question est insolvable. Les origines ne se fossilisent pas et surtout pas celle du langage (quoique... voir Dessales, Picq et Victorri, Les origines du langage, Éditions du Pommier). Donc le roman peut paraître le meilleur moyen de traiter de cette question mais encore faut-il y intéresser le lecteur ! Les cent premières pages du roman décrivent le linguiste grec et sa sœur, leur relation, leur passé, sa maladie sans stimuler cet intérêt qui fait qu'on continue... donc je me suis arrêté là.
Pire avec Ap. J.-C. ! Là encore, ma curiosité avait été suscitée par le thème : une vieille femme grecque, Nausicaa, demande à un étudiant en philosophie d'enquêter sur les moines du mont Athos. Je n'ai pourtant pas atteint la trentième pas ! Je sens immédiatement en lisant un roman si l'auteur fait preuve d'une naïveté feinte et qu'il n'estime pas son lecteur. C'est assez difficile à décrire et à justifier car l'impression ce dégage de l'ensemble et non d'une phrase ou d'un paragraphe mais elle est claire : ce livre n'est pas pour moi. Les dialogues sont naïfs, je perçois les ficelles du romancier, je vois ce qu'il met en place, sans subtilité et l'écriture n'a aucun intérêt ! L'obtention du Grand Prix du roman de l'Académie française reste pour moi un mystère... Bref, lecteurs exigeants passez votre chemin.