La mise en scène du Ring de Wagner par Robert Lepage au Metropolitan de New York vient de sortir en DVD. L'occasion m'est enfin donnée d'écouter, de voir et de juger cette production qui a tant fait parler d'elle. Je n'avais vu que Le crépuscule des dieux en direct à la Géode. J'écrirais certainement un billet sur ce dernier volet une fois que je l'aurais revu, mais je veux me concentrer maintenant sur ce prélude qu'est L'or du Rhin. Cette production souffre d'un hiatus entre le dispositif scénique, les costumes et la dramaturgie. Elle donne l'impression que trois personnes différentes ont été chargées de ces trois domaines sans qu'elles se consultent et qu'elles construisent ensemble une vision cohérente. J'ai beau reprocher tout un tas de choses à la mise en scène de Günter Krämer, elle semblait plus cohérente dans son genre.
L'énorme machinerie sur le plateau qui offre en fait plusieurs plateaux en changement à vue et sur laquelle sont projetées des images (décors ou atmosphère) constitue la part la plus moderne de la production. Elle permet de faire surgir dans le vide les Nixen et de les replonger véritablement dans le Rhin.
Elle offre des moment de pure magie visuelle, comme lorsque Wotan et Loge descendent aux Nibelungen. Les personnages sortent de la coulisse à l'horizontale pour, progressivement, retrouver une position verticale.
Enfin, lorsque les dieux entrent au Walhalla, ils y montent véritablement, à la verticale.
On aura compris que la nouveauté de cette mise en scène est l'utilisation de toutes les dimensions spatiales du plateau. Ce qui demande cependant un certains nombre de filins, pas toujours discrets, et une souplesse que les chanteurs n'ont pas toujours (Loge n'est pas très à l'aise quand il s'agit de reculer sur un plan incliné). Et il me semble que cette mise en scène oublie, comme de trop nombreuses autres, que les chanteurs sont au mieux de bons acteurs, parfois de bons danseurs, mais qu'ils ne sont ni gymnastes, ni encore moins acrobates ou cascadeurs (surtout pas la pachydermique Stephanie Blythe dont la doublure assure la montée ci-dessus).
J'en viens au second problème : la direction d'acteur. Si le dispositif scénique est très moderne, le jeu des acteurs ne l'est pas du tout : classique, statique, caricatural, sans aucun second degré alors que le texte le permet. Aucune lecture des personnages ne nous est proposée. Mais cette critique n'est peut-être que l'effet d'une énième captation vidéo absurde. Pourquoi nous montrer les chanteurs en très gros plan ? On voit leur effort physique pour chanter, la sueur inondant leur visage, la colle de leur perruque et parfois même leurs plombages...! Alors qu'on voudrait avoir un regard panoramique sur la scène et ce qui s'y déroule, sur la position des personnages les uns par rapport aux autres afin de mieux saisir leurs relation, la caméra ne nous offre que des plans rapprochés, voire serrés, ne révélant que les détails des costumes (hideux, j'y viens...). A l'opéra, on ne voit jamais les chanteurs comme les vidéos nous les montrent et c'est tant mieux ! Une bonne captation vidéo d'un opéra est une captation qui n'oublie pas que lorsqu'on est dans la salle on voit tout, même si on peut porter notre attention sur un ou plusieurs personnages. Ce problème me semble relever d'un manque d'humilité des réalisateurs qui refusent de considérer la vidéo comme un simple moyen. Le constat n'est pas nouveau, on peut faire le même au sujet du Ring de Chéreau.
Enfin, les costumes de François Saint-Aubin ! Là encore, les choix rabâchés qui ont été faits contrastent totalement avec la mise en scène. Les dieux mâles (Wotan, Donner et Froh) ont tous les trois une armure avec les pectoraux et les abdominaux. Ils portent la jupe longue façon kilt. Loge est sanglé (voire saucissonné) de la tête au pieds dans un costume façon parachutiste et affublé d'une perruque dans le style de la fiancée de Frankenstein. Fasolt et Fafner ressemblent à des ewoks bodybuildés. Quant à Alberich, il est affublé d'une salopette en simili cuir ornée d'une énorme braguette lacée, quelque part en l'égoutier et le combinaison SM... Tout cela manque à la fois de grâce et d'audace. Là encore, aucune lecture nouvelle des rôles qui collerait avec le dispositif scénique.
Ne reste plus qu'à évoquer les voix et l'orchestre. Dans l'ensemble tout est de bonne tenue. Il est toujours difficile de juger de la qualité d'un orchestre lorsque l'on n'est pas dans la salle, mais celui du Metropolitan sert bien la musique de Wagner, dirigé par un Levine qui n'en est pas à son premier Ring. Sans évoquer la puissance tellurique de Karajan ou la modernité de Boulez, Lévine est convaincant tout autant dans les phases d'émotion que lorsque l'orchestre sonne tout entier. Vocalement, la distribution est inégale. Dans l'ordre d'apparition, les Nixen (Lisette Oropesa, Jennifer Johnson et Tamara Mumford) sont très bonnes tant vocalement que par leur jeu de scène et l'audace d'être suspendues dans le vide un bon moment. Eric Owens est un très bon Alberich. Il a le physique de l'emploi, même si on peut discuter le choix d'un afro-américain pour ce rôle. Il en a surtout la voix : puissante, orgueilleuse et vile. Ensuite, le couple divin : Wotan et Fricka, respectivement Bryn Terfel et Stephanie Blythe. Je passe rapidement sur cette seconde dont la voix, trop acide, ne me plait pas, pour évoquer le premier. La voix est puissante, massive mais la prononciation allemande me semble un peu molle. De plus, il incarne un Wotan monolithique alors que le personnage évolue au cours de l'action. Richard Croft incarne bien Loge mais ne manifeste pas l'aisance qui était celle de Heinz Zednik dans la production de Chéreau, même si vocalement il colle parfaitement au personnage. Le Mime de Gerhard Siegel est très bien vocalement mais son jeu fait du personnage une caricature (il mange ses crottes de nez...). Les Géants de Franz-Josef Selig et Hans-Peter König sont parfaits et montrent bien ce qui conduit le deux frères à s'opposer. Freia est parfaite aussi. Wendy Bryn Harmer a une voix fragile et claire. Adam Diegel est un peu léger en Froh, mais Dwayne Croft s'en sort bien en Donner. Pour moi, ces deux personnages sont des reliquats inutiles de l’œuvre. Dramatiquement inutiles, leur présence ne semble justifiée que pour meubler la scène. En murissant les volets suivants du Ring, Wagner va se débarrasser de ce genre de personnages pour recentrer l'action sur le devenir des héros. Grosse déception pour Erda. La pauvre Patricia Bardon, affublée d'une longue perruque blonde n'a pas la puissance vocale du rôle.
Dans l'ensemble une production qui n'est pas désagréable à regarder ni à écouter, loin de là ! mais qui apparaît un peu comme un rendez-vous manqué entre l'innovation technique et les autres dimensions de l'art de la scène. Ce n'est pas le Ring du XXIe siècle.
L'énorme machinerie sur le plateau qui offre en fait plusieurs plateaux en changement à vue et sur laquelle sont projetées des images (décors ou atmosphère) constitue la part la plus moderne de la production. Elle permet de faire surgir dans le vide les Nixen et de les replonger véritablement dans le Rhin.
Elle offre des moment de pure magie visuelle, comme lorsque Wotan et Loge descendent aux Nibelungen. Les personnages sortent de la coulisse à l'horizontale pour, progressivement, retrouver une position verticale.
Enfin, lorsque les dieux entrent au Walhalla, ils y montent véritablement, à la verticale.
On aura compris que la nouveauté de cette mise en scène est l'utilisation de toutes les dimensions spatiales du plateau. Ce qui demande cependant un certains nombre de filins, pas toujours discrets, et une souplesse que les chanteurs n'ont pas toujours (Loge n'est pas très à l'aise quand il s'agit de reculer sur un plan incliné). Et il me semble que cette mise en scène oublie, comme de trop nombreuses autres, que les chanteurs sont au mieux de bons acteurs, parfois de bons danseurs, mais qu'ils ne sont ni gymnastes, ni encore moins acrobates ou cascadeurs (surtout pas la pachydermique Stephanie Blythe dont la doublure assure la montée ci-dessus).
J'en viens au second problème : la direction d'acteur. Si le dispositif scénique est très moderne, le jeu des acteurs ne l'est pas du tout : classique, statique, caricatural, sans aucun second degré alors que le texte le permet. Aucune lecture des personnages ne nous est proposée. Mais cette critique n'est peut-être que l'effet d'une énième captation vidéo absurde. Pourquoi nous montrer les chanteurs en très gros plan ? On voit leur effort physique pour chanter, la sueur inondant leur visage, la colle de leur perruque et parfois même leurs plombages...! Alors qu'on voudrait avoir un regard panoramique sur la scène et ce qui s'y déroule, sur la position des personnages les uns par rapport aux autres afin de mieux saisir leurs relation, la caméra ne nous offre que des plans rapprochés, voire serrés, ne révélant que les détails des costumes (hideux, j'y viens...). A l'opéra, on ne voit jamais les chanteurs comme les vidéos nous les montrent et c'est tant mieux ! Une bonne captation vidéo d'un opéra est une captation qui n'oublie pas que lorsqu'on est dans la salle on voit tout, même si on peut porter notre attention sur un ou plusieurs personnages. Ce problème me semble relever d'un manque d'humilité des réalisateurs qui refusent de considérer la vidéo comme un simple moyen. Le constat n'est pas nouveau, on peut faire le même au sujet du Ring de Chéreau.
Enfin, les costumes de François Saint-Aubin ! Là encore, les choix rabâchés qui ont été faits contrastent totalement avec la mise en scène. Les dieux mâles (Wotan, Donner et Froh) ont tous les trois une armure avec les pectoraux et les abdominaux. Ils portent la jupe longue façon kilt. Loge est sanglé (voire saucissonné) de la tête au pieds dans un costume façon parachutiste et affublé d'une perruque dans le style de la fiancée de Frankenstein. Fasolt et Fafner ressemblent à des ewoks bodybuildés. Quant à Alberich, il est affublé d'une salopette en simili cuir ornée d'une énorme braguette lacée, quelque part en l'égoutier et le combinaison SM... Tout cela manque à la fois de grâce et d'audace. Là encore, aucune lecture nouvelle des rôles qui collerait avec le dispositif scénique.
Ne reste plus qu'à évoquer les voix et l'orchestre. Dans l'ensemble tout est de bonne tenue. Il est toujours difficile de juger de la qualité d'un orchestre lorsque l'on n'est pas dans la salle, mais celui du Metropolitan sert bien la musique de Wagner, dirigé par un Levine qui n'en est pas à son premier Ring. Sans évoquer la puissance tellurique de Karajan ou la modernité de Boulez, Lévine est convaincant tout autant dans les phases d'émotion que lorsque l'orchestre sonne tout entier. Vocalement, la distribution est inégale. Dans l'ordre d'apparition, les Nixen (Lisette Oropesa, Jennifer Johnson et Tamara Mumford) sont très bonnes tant vocalement que par leur jeu de scène et l'audace d'être suspendues dans le vide un bon moment. Eric Owens est un très bon Alberich. Il a le physique de l'emploi, même si on peut discuter le choix d'un afro-américain pour ce rôle. Il en a surtout la voix : puissante, orgueilleuse et vile. Ensuite, le couple divin : Wotan et Fricka, respectivement Bryn Terfel et Stephanie Blythe. Je passe rapidement sur cette seconde dont la voix, trop acide, ne me plait pas, pour évoquer le premier. La voix est puissante, massive mais la prononciation allemande me semble un peu molle. De plus, il incarne un Wotan monolithique alors que le personnage évolue au cours de l'action. Richard Croft incarne bien Loge mais ne manifeste pas l'aisance qui était celle de Heinz Zednik dans la production de Chéreau, même si vocalement il colle parfaitement au personnage. Le Mime de Gerhard Siegel est très bien vocalement mais son jeu fait du personnage une caricature (il mange ses crottes de nez...). Les Géants de Franz-Josef Selig et Hans-Peter König sont parfaits et montrent bien ce qui conduit le deux frères à s'opposer. Freia est parfaite aussi. Wendy Bryn Harmer a une voix fragile et claire. Adam Diegel est un peu léger en Froh, mais Dwayne Croft s'en sort bien en Donner. Pour moi, ces deux personnages sont des reliquats inutiles de l’œuvre. Dramatiquement inutiles, leur présence ne semble justifiée que pour meubler la scène. En murissant les volets suivants du Ring, Wagner va se débarrasser de ce genre de personnages pour recentrer l'action sur le devenir des héros. Grosse déception pour Erda. La pauvre Patricia Bardon, affublée d'une longue perruque blonde n'a pas la puissance vocale du rôle.
Dans l'ensemble une production qui n'est pas désagréable à regarder ni à écouter, loin de là ! mais qui apparaît un peu comme un rendez-vous manqué entre l'innovation technique et les autres dimensions de l'art de la scène. Ce n'est pas le Ring du XXIe siècle.