mercredi 23 février 2011

Auber, Le domino noir

J'ai découvert l'existence cet opéra par un air chanté par la sublissime Magdalena Kožená. Elle ouvre en effet ce disque par le récit d'Angèle d'Olivares. Elle confesse ses aventures de sa nuit sur un rythme haletant, dans un français parfait de clarté et de distinction, donné dans l'enregistrement comme sur scène (don rare que seule Véronique Gens maîtrise parfaitement).  Mais en dehors de cet air, qu'est-ce que ce Domino noir? Il est vrai que le compositeur est encore au purgatoire de l'art lyrique contemporain. Combien de ceux qui prennent quotidiennement le RER A à la station Auber savent qu'il s'agit d'un compositeur français du 19e siècle,  aux succès nombreux et couvert d'honneurs? Il suffit également de regarder les programmes des opéras à Paris, en Province et même à l'étranger pour se rendre compte du peu de faveur dont il fait l'objet. J'ai même lu une critique sur un site commercial de l'enregistrement  de Magdalena Kožená disant que cette voix sublime était mise au service d'une musique médiocre, et même vulgaire! Si je sais ce qu'est une musique médiocre (les médias nous en abreuvent), j'aimerai savoir ce qu'est une musique vulgaire? Une musique appréciée du vulgus, du peuple? Quel préjugé aristocratique dénigre par principe le succès obtenu dans le passé ? Si c'est le sens de la critique, alors elle ne porte pas. De plus, le goût musical et le talent de Madame Kožená et du chef Minkowski me portaient à accorder quelque crédit à cette musique.
Très rares sont les enregistrement de cet opéra, plus rares encore les intégrales. J'emprunte donc la version dirigée par Bonynge avec Sumi Jo dans le rôle d'Angèle. Avec une telle distribution et dans une version mutilée car abrégée au point d'être défigurée, on comprend qu'Auber ne fasse plus d'émule. Et pourtant...
Les critiques que j'exprime ne s'adresse pas à l'opéra mais à cet enregistrement particulier. Le livret et la musique sont sans pitié pour tout chanteur qui ne maîtrise pas parfaitement la langue française.  Il n'est qu'à comparer les versions de l'air d'Angèle par Magdalena Kožená et Sumi Jo. Cette dernière peine horriblement, son récit est lent, poussif, on sent que l'orchestre essaie en vain de la soutenir et de la pousser. De plus, il y a de nombreux récitatifs qui ne sont pas chantés, ce qui demande non seulement des chanteurs mais des acteurs, ce que les interprètes ne sont pas du tout, à l'exception notable de Martine Olmeda dans le rôle de Jacinthe. Enfin Bonynge a fait des coupes claires dans le livret qu'il considère "long et relativement amusant". Amusant, j'en conviens Je trouve même que le quiproquo sur lequel repose toute l'intrigue est mené dès le début et jusqu'à son terme avec beaucoup d'adresse. Les péripéties sont à peine croyables mais drôles. Tout l'opéra repose sur un jeu de faux-semblants, d'apparence et de réminiscence proche du rêve ou de l'illusion. Il y a ainsi une mise en abîme des effets de l'opéra ou du théâtre. Par contre que le livret soit long, les auditeurs ne peuvent le savoir tant qu'aucune intégrale n'aura été enregistrée. De plus la longueur n'est pas en soit une critique : personne n'irait l'adresser au Crépuscule des dieux  de Wagner! Tout dépend de l'art des interprètes, du chef et d'une possible mise en scène. Je rêve de voir Laurent Pelly s'attaquer à cette tâche, avec Minkowski au pupitre dirigeant Kožená dans le rôle d'Angèle et Marie-Nicole Lemieux dans celui de Jacinthe.
Bonynge a dénaturé le livret de façon absurde. Ainsi il supprime le deuxième couplet de l'air d'Angèle, rendant incompréhensible le troisième où il est fait référence à un voleur, sujet de ce deuxième couplet. Peut-être fallait-il abréger les peines de Madame Sumi Jo? De même la double intrigue du livret autour de Lord Elfort est gommée au point de rendre la présence du personnage incongrue car inutile.
Quant à la musique... que dire? Je la trouve brillante, non pas au sens d'intelligente mais immédiatement efficace.  Elle emporte d'emblée. Elle est séductrice. Voici ce qu'en dit Jeremy Commons dans la présentation de l'enregistrement de Bonynge :
Sa musique lui ressemble : mélodieuse et pétillante, magistralement ouvrée, preste, avec des syncopes, des harmonies et une orchestration pleines d'effet. Elle étincelle, toute légèreté et souplesse, grâce et élégance. Mais elle est aussi régulière et ordonnée, façonnée avec précision.
Elle a bien tendance, il faut bien le dire, à être superficielle, et ne traite que rarement de sentiments profonds ou sérieux. Sur ce plan, elle ressemble d'ailleurs aussi au compositeur, présentant au monde un extérieur raffiné et brillant, et refusant, presque défensivement, d'aborder les profondeurs cachées. Un de ses points forts en tant que musicien tient à sa sensibilité à la langue française : de même que la langue elle-même est capable de variations délicates et de nuances caustiques, sa musique est spirituelle et piquante, et se délecte aux tours et girouettes d'un texte intelligent.
Le reproche masqué (exprimé ici par le terme de "superficielle") ne m'en semble pas un car le compositeur et son librettiste (le prolifique Scribe) s'attachent non à l'analyse des tourments ou des états de l'âme (nous avons à faire à un opéra comique et non à l'opera seria) mais à construire un jeu d'illusion (qui n'est pas sans une critique de la fausse vertu, voire de la bigoterie), à en jouer et à jouer de leurs personnages, jusqu'au dénouement final, le tout avec maestria et brio. Espérons et attendons celui qui à la scène saura se montrer à la hauteur de l'art de Daniel-François-Esprit Auber.

Les enquêtes de Nicolas Le FLoch - Jean-François Parot

Ce montage des couvertures des éditions de poche des enquêtes de Nicolas Le Floch révèle judicieusement l'art de Jean-François. La série (je parle bien évidemment des romans et non de la série télévisée...que je n'ai pas vu et que je ne souhaite pas voir, craignant le pire, comme souvent) dresse en effet une belle galerie de portraits. Les tableaux, plus souvent les pastels choisis laissent le lecteur libre d'identifier un des personnages de l'intrigue. Je suppose que l'homme brun en couverture de L'affaire Nicolas Le Foch, n'est autre que le commissaire (quoique la cravate et les mèches du modèle renvoient plutôt à un mode postérieure à l'époque du récit). Le vieil homme qui orne le premier de couverture du Crime de l'hôtel Saint-Florentin peut être le Duc de la Vrillière, centre de l'intrigue, celui, plus jeune, du Noyé du Grand Canal, peut être l'inspecteur Renard etc. 
L'intérêt de cette série d'enquête réside bien évidemment, comme tout polar, à laisser jusqu'aux ultimes pages le lecteur dans l'incertitude concernant le coupable. De ce point de vue, Parot sait y faire : exposition, complications, rebondissement, dénouement confondant... la machine fonctionne bien (ce n'est pas le cas d'autres comme Iain Pears qui échoue complètement à construire un intrigue qui tient un tant soit peu le lecteur en haleine). Ce qui en fait autre chose que de la littérature poc-corn (j'entends par là, une littérature agréable, légère, distrayante, lue rapidement) réside dans la familiarité que l'auteur semble entretenir avec le 18e siècle français, et même plus particulièrement avec les années 1760-1780. Il parvient ainsi à restituer ce que les historien ne peuvent que difficilement faire, soumis aux impératifs d'objectivité et donc interdits d'invention : l'air d'une époque, dans tous les sens du terme. En lisant ces romans, on respire la puanteur des rues de Paris, on goûte  des plats riches aux préparations complexes, on entend la musique à la mode, on déambule dans un Château de Versailles habité par autre chose qu'une masse ignare. Parot parvient par ailleurs à contourner la gageure que présente tout récit qui se situe dans une époque antérieure : celle de la langue parlée. Il parsème son récit de mots anciens, oubliés ou tombés en désuétude, ou appartenant à un lexique spécifique comme celui de la chasse, ou bien il rappelle l'origine de certaines expressions que nous employons encore. Bref, il fait montre d'un travail d'historien de la langue mais sur le mode de la curiosité. Parmi tant d'autres, j'ai retenu le mot foutinabuler, activité préférée de certains de mes élèves : s'amuser d'un rien. 
Des romans policiers dont on sort donc plus savant.
J'attends la sortie en poche du dernier opus L'honneur de Sartine et m'interroge sur la suite : Parot ira-t-il jusqu'à la Révolution française ou bien mettra-t-il un terme à la carrière de son célèbre commissaire avant cela?