Patrick Boucheron se livre dans cet essai (Verdier, Paris, 2008) à un exercice difficile : mettre des mots, tracer des liens, reconstituer des échanges entre deux figures majeures de la Haute Renaissance italienne : Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel. L'historien éprouve une nécessaire frustration face à ce cas car on sait que les deux hommes se sont rencontrés. Il ne peut en être autrement. Et pourtant aucune mention au sujet de l'un ou de l'autre dans leurs nombreux écrits respectifs. Que faire face à ce vide, ce silence de l'histoire? Deux solutions sont possibles. Inventer un récit, une fiction. L'auteur prend la parole et place la sienne dans la bouche de nos deux protagonistes. Ou bien, tenter avec ce qu'on sait de dessiner le monde que les hommes ont partagé, leurs missions, leurs inquiétudes, leurs échanges peut-être. C'est ce que fait ici Patrick Boucheron avec beaucoup d'érudition mais aussi d'élégance dans l'écriture. Son essai est historique au sens où il suit le parcours des deux hommes. Son interprétation propose de rapprocher l'expérience politique de Machiavel et ses analyses et prescriptions politiques de la quête incessante et inachevée par Léonard du mouvement et de la fluidité. Il faut avouer que le rapprochement a du sens car il éclaire l'œuvre à la fois du philosophe et celle de l'artiste, tout en pointant une des mutations intellectuelles de la Renaissance. On doit donc recommander cet ouvrage à tous ceux qui veulent approfondir leur connaissance de la Haute Renaissance italienne. Il a le grand mérite d'oser un parallèle précis entre arts et lettres, ce qui, à ma connaissance, est relativement rare. Il permet aussi à ceux qui ont déjà une bonne connaissance de la période de mettre dans une nouvelle perspective des informations ou des œuvres dispersées. On déconseille donc l'ouvrage à ceux qui cherchent une fiction, tout comme à ceux qui cherchent une initiation. La bibliographie est très utile.