Me voilà partiellement
réconcilié avec Verdi, suite à la retransmission sur France 3 de
la production de l'opéra de Paris de 2004, filmée en 2009. Du moins, cet opéra me
semble bien mieux ficelé que La force du destin. Sans réussir
à susciter chez moi des émotions (comme ce fut le cas récemment à
l'Opéra Comique pour Amadis des Gaules de J.-C. Bach), cette
œuvre dans son évolution dramatique et dans ses personnages me
semble claire, cohérente, efficace. Le propos de Verdi était ici
servi par l'orchestre de l'Opéra de Paris que l'on sait très
investi et aguerri dans ce répertoire, mais qui sonne parfois un peu fort. Il était dirigé (est-ce
bien le mot?) par Teodor Currentzis, sorte de Liszt, chevelu et
agité, courbé sur sa partition, regardant à peine les musiciens.
C'est à se demander comment ils peuvent comprendre ses directives ?
La mise en scène était due à Dimitri Tcherniakov, qui propose une
authentique lecture de l’œuvre. On sent chez lui l'homme de
théâtre, même s'il met en œuvre des moyens techniques modernes,
comme la géolocalisation vidéo-projetée. La théâtralité de la
mise en scène est d'emblée exprimée par une scène sans musique,
sans parole : un soldat (Macbeth) arrive sur une place de
village, bordée des trois côtés de maisons (l'un des deux lieux de
l'action) et est accueilli chaleureusement par des civils. Cette
évocation rappelle que Macbeth a gagné son pouvoir par les armes,
qu'il n'est pas que faiblesse, indécision et remords. De plus elle
met en jeu immédiatement un personnage central de l’œuvre :
le chœur. Puis on entend la belle ouverture de l'opéra pendant que
défilent (sur une toile entre scène et salle) des images satellite
d'une campagne méridionale plus française qu'italienne. Cette
géolocalisation sera constamment utilisée dans la suite de l’œuvre
pour faire le lien entre les scènes se passant à l'intérieur de la
résidence des Macbeth et la place du village.
L'opéra s'ouvre par une
scène de chœur sur la scène du village vue en prélude. Le
contraste entre le texte et l'apparence de ce chœur est marquant car
il s'agit d'un sabbat de sorciers et de sortilèges, et pourtant
leurs costumes sont très ordinaires. Tout au long de l'opéra, le
parti pris de la modernité des costumes du chœur accroit le poids
et le mystère de leurs malédictions. Faut-il y voir une lecture
politique de l’œuvre ? C'est possible mais il me semble que
ce contraste est aussi et surtout scénique, visuel et renforce
l'étrangeté et la force du texte. Les décors (place du villages
aux maisons éclairées de l'intérieur au néon, salle à manger des
Macbeth, ciels en mouvement), ainsi que les lumières vont dans le
même sens.
Tcherniakov est bien un
homme de théâtre et il introduit à plusieurs moments dans l'opéra
des scènettes qui assurent la continuité dramatique de l'action ou
lui donne de la profondeur. C'est le
cas à la fin du premier acte lors d'une scène sans parole
de réception du roi chez Macbeth, sur un air de marche. C'est aussi
le cas juste avant l'annonce du meurtre du roi : la scène est
occupée par des personnages silencieux mais aux physiques et aux
attitudes expressifs et intéressants. Cette scène sera d'ailleurs
suivie d'un bel ensemble vocal de déploration. Le coup de génie,
qui est aussi un coup de folie théâtrale est la destruction à
coups de marteau du décor de la résidence Macbeth dans la scène
finale.
La géolocalisation nous
fait passer doucement et subtilement de la place du village à la
demeure de Macbeth. Le spectateur, sorte de voyeur, y pénètre par
une fenêtre de l'étage, délimitée sur scène par un énorme
cadre, ouvrant sur un intérieur sobre. C'est dans cet intérieur que
nous découvrons la terrible Lady Macbeth. Elle lance son appel aux
forces des ténèbres et c'est là que se révèle pour moi l'une des
faiblesse de cet opéra. Verdi se révèle incapable de faire de cet
appel démoniaque autre chose qu'un beau moment de chant. Comme si le
bel canto était incapable de moduler son rythme à ce qui est
chanté ! On n'entend rien là qui soit effrayant. Lully et
Gluck proposent dans leurs Armide respectives des propositions
autrement convaincantes ! Seul le traitement du chœur,
accompagné parfois de cuivres et de percussion, parvient à susciter
la terreur.
Violetta Urmana était en
bien meilleure forme ce soir là que lors de sa catastrophique
interprétation de Donna Leonora dans La force du destin. Elle
campe une Lady Macbeth tout aussi déterminée que sombrant
finalement dans la folie. Elle est particulièrement convaincante au
début de l'acte 2 quand elle prend sa décision meurtrière.
Est-elle bien dirigée ou joue-t-elle bien ? Quoi qu'il en soit,
elle s'en sort très bien, par exemple dans la difficile scène de
réception où Tcherniakov lui fait faire des tours de magie, de même
bien sûr dans sa scène de folie.
Je
suis beaucoup moins enthousiaste pour Dimitri Tiliakos dont je trouve
l'articulation italienne défaillante et l'émission un peu faible
dans le bas de son registre. De plus, il n'est pas très bon acteur :
il ne suffit pas d'écarquiller les yeux pour rendre la folie.
Le
rôle de Banquo est par contre bien tenu et sa mort est l'occasion
d'une belle scène.
La captation vidéo d'Andy Sommer est catastrophique ! Il se révèle
incapable de restituer le plateau, ou même tout simplement de
permettre au spectateur de suivre de façon cohérente l'action
(brusques changements de plans sans transition). Comme trop de
réalisateurs de vidéo d'opéra, il a la fâcheuse tendance à
privilégier le visage des chanteurs, comme s'il était le seul lieu
de l'expression de leurs émotions, comme si le seul intérêt de la
vidéo consistait à rapprocher le spectateur de la scène ! Un
chanteur en plein effort n'est pas toujours très agréable à
regarder de près. De même zoomer sur la main ou le poing tendu d'un
chanteur n'apporte rien : l'organe seul ne suffit pas à
assurer une fonction déictique claire. On touche à l'idiotie quand
la caméra montre le siège vide lors de la vision de Macbeth et
qu'elle semble elle-même animée d'un mouvement incohérent,
désordonné, brouillon. De même la caméra rend impossible la
compréhension des déplacements de la foule des esprits au début de
l'acte 3 car elle s'attarde sur les visages individuels au lieu de
montrer la masse en mouvement. Quel contre-sens que de filmer les
individus d'un chœur ! Surtout quand c'est à hauteur d'homme :
on ne voit qu'une superposition de visages, sans profondeur. Le
paroxysme de l'absurdité de la caméra est atteint dans le scène
finale de la destruction de la maison de Macbeth : elle montre
chaque coup et chaque trou au lieu de montrer l'ensemble en train de
s'effondrer. C'est tout simplement illisible et laid. Encore une
fois : mieux vaut aller à l'opéra !