samedi 10 décembre 2011

Verdi, MacBeth, Opéra de Paris

Me voilà partiellement réconcilié avec Verdi, suite à la retransmission sur France 3 de la production de l'opéra de Paris de 2004, filmée en 2009. Du moins, cet opéra me semble bien mieux ficelé que La force du destin. Sans réussir à susciter chez moi des émotions (comme ce fut le cas récemment à l'Opéra Comique pour Amadis des Gaules de J.-C. Bach), cette œuvre dans son évolution dramatique et dans ses personnages me semble claire, cohérente, efficace. Le propos de Verdi était ici servi par l'orchestre de l'Opéra de Paris que l'on sait très investi et aguerri dans ce répertoire, mais qui sonne parfois un peu fort. Il était dirigé (est-ce bien le mot?) par Teodor Currentzis, sorte de Liszt, chevelu et agité, courbé sur sa partition, regardant à peine les musiciens. C'est à se demander comment ils peuvent comprendre ses directives ? La mise en scène était due à Dimitri Tcherniakov, qui propose une authentique lecture de l’œuvre. On sent chez lui l'homme de théâtre, même s'il met en œuvre des moyens techniques modernes, comme la géolocalisation vidéo-projetée. La théâtralité de la mise en scène est d'emblée exprimée par une scène sans musique, sans parole : un soldat (Macbeth) arrive sur une place de village, bordée des trois côtés de maisons (l'un des deux lieux de l'action) et est accueilli chaleureusement par des civils. Cette évocation rappelle que Macbeth a gagné son pouvoir par les armes, qu'il n'est pas que faiblesse, indécision et remords. De plus elle met en jeu immédiatement un personnage central de l’œuvre : le chœur. Puis on entend la belle ouverture de l'opéra pendant que défilent (sur une toile entre scène et salle) des images satellite d'une campagne méridionale plus française qu'italienne. Cette géolocalisation sera constamment utilisée dans la suite de l’œuvre pour faire le lien entre les scènes se passant à l'intérieur de la résidence des Macbeth et la place du village.
L'opéra s'ouvre par une scène de chœur sur la scène du village vue en prélude. Le contraste entre le texte et l'apparence de ce chœur est marquant car il s'agit d'un sabbat de sorciers et de sortilèges, et pourtant leurs costumes sont très ordinaires. Tout au long de l'opéra, le parti pris de la modernité des costumes du chœur accroit le poids et le mystère de leurs malédictions. Faut-il y voir une lecture politique de l’œuvre ? C'est possible mais il me semble que ce contraste est aussi et surtout scénique, visuel et renforce l'étrangeté et la force du texte. Les décors (place du villages aux maisons éclairées de l'intérieur au néon, salle à manger des Macbeth, ciels en mouvement), ainsi que les lumières vont dans le même sens.
Tcherniakov est bien un homme de théâtre et il introduit à plusieurs moments dans l'opéra des scènettes qui assurent la continuité dramatique de l'action ou lui donne de la profondeur. C'est le cas à la fin du premier acte lors d'une scène sans parole de réception du roi chez Macbeth, sur un air de marche. C'est aussi le cas juste avant l'annonce du meurtre du roi : la scène est occupée par des personnages silencieux mais aux physiques et aux attitudes expressifs et intéressants. Cette scène sera d'ailleurs suivie d'un bel ensemble vocal de déploration. Le coup de génie, qui est aussi un coup de folie théâtrale est la destruction à coups de marteau du décor de la résidence Macbeth dans la scène finale.

La géolocalisation nous fait passer doucement et subtilement de la place du village à la demeure de Macbeth. Le spectateur, sorte de voyeur, y pénètre par une fenêtre de l'étage, délimitée sur scène par un énorme cadre, ouvrant sur un intérieur sobre. C'est dans cet intérieur que nous découvrons la terrible Lady Macbeth. Elle lance son appel aux forces des ténèbres et c'est là que se révèle pour moi l'une des faiblesse de cet opéra. Verdi se révèle incapable de faire de cet appel démoniaque autre chose qu'un beau moment de chant. Comme si le bel canto était incapable de moduler son rythme à ce qui est chanté ! On n'entend rien là qui soit effrayant. Lully et Gluck proposent dans leurs Armide respectives des propositions autrement convaincantes ! Seul le traitement du chœur, accompagné parfois de cuivres et de percussion, parvient à susciter la terreur.

Violetta Urmana était en bien meilleure forme ce soir là que lors de sa catastrophique interprétation de Donna Leonora dans La force du destin. Elle campe une Lady Macbeth tout aussi déterminée que sombrant finalement dans la folie. Elle est particulièrement convaincante au début de l'acte 2 quand elle prend sa décision meurtrière. Est-elle bien dirigée ou joue-t-elle bien ? Quoi qu'il en soit, elle s'en sort très bien, par exemple dans la difficile scène de réception où Tcherniakov lui fait faire des tours de magie, de même bien sûr dans sa scène de folie.
Je suis beaucoup moins enthousiaste pour Dimitri Tiliakos dont je trouve l'articulation italienne défaillante et l'émission un peu faible dans le bas de son registre. De plus, il n'est pas très bon acteur : il ne suffit pas d'écarquiller les yeux pour rendre la folie.
Le rôle de Banquo est par contre bien tenu et sa mort est l'occasion d'une belle scène.

La captation vidéo d'Andy Sommer est catastrophique ! Il se révèle incapable de restituer le plateau, ou même tout simplement de permettre au spectateur de suivre de façon cohérente l'action (brusques changements de plans sans transition). Comme trop de réalisateurs de vidéo d'opéra, il a la fâcheuse tendance à privilégier le visage des chanteurs, comme s'il était le seul lieu de l'expression de leurs émotions, comme si le seul intérêt de la vidéo consistait à rapprocher le spectateur de la scène ! Un chanteur en plein effort n'est pas toujours très agréable à regarder de près. De même zoomer sur la main ou le poing tendu d'un chanteur n'apporte rien : l'organe seul ne suffit pas à assurer une fonction déictique claire. On touche à l'idiotie quand la caméra montre le siège vide lors de la vision de Macbeth et qu'elle semble elle-même animée d'un mouvement incohérent, désordonné, brouillon. De même la caméra rend impossible la compréhension des déplacements de la foule des esprits au début de l'acte 3 car elle s'attarde sur les visages individuels au lieu de montrer la masse en mouvement. Quel contre-sens que de filmer les individus d'un chœur ! Surtout quand c'est à hauteur d'homme : on ne voit qu'une superposition de visages, sans profondeur. Le paroxysme de l'absurdité de la caméra est atteint dans le scène finale de la destruction de la maison de Macbeth : elle montre chaque coup et chaque trou au lieu de montrer l'ensemble en train de s'effondrer. C'est tout simplement illisible et laid. Encore une fois : mieux vaut aller à l'opéra !

jeudi 8 décembre 2011

Verdi, La force du destin, Opéra Bastille

Inutile d'ajouter ma voix au concert des critiques qui pleuvent dans tous les médias (à l'exception de la Tribune dont le chroniqueur soit n'a pas assisté à la représentation, soit est tout simplement sourd) sur cette nouvelle production de l'Opéra de Paris. La plus grave des critiques étant l'indigence de la voix de tous les chanteurs sur scène. J'étais au 3e rang du parterre et il m'était pourtant difficile parfois d'entendre Marcelo Alvarez au dessus de l'orchestre! Quant à Madame Urmana, on l'annonce, dès le début de la représentation, souffrante mais néanmoins chantant!? N'aurait-il pas mieux valu accorder sa chance à la doublure? Les interprètes sont à ce point peu en forme qu'il leur arrive tout simplement de crier au lieu de chanter et dans le très périlleux duo masculin du dernier acte, Monsieur Alvarez s'éclaircit le gosier en buvant à sa gourde!!! Vocalement, ce que j'ai entendu ce soir là est indigne d'une scène nationale! Les critiques des spectateurs pendant les entractes étaient assassines, tout particulièrement concernant la Preziosilla de Nadia Krasteva, vocalement peu convaincante et au jeu un peu vulgaire. Même le moins mélomane des spectateurs ce soir là a dû percevoir que ce qu'il entendait (s'il l'entendait...) était bien léger....
Le seul aspect intéressant de cette production est surement la mise en scène, même si certains l'ont critiquée également. Je trouve pourtant qu'elle relève une véritable gageure vu la diversité des lieux de l'action. Jean-Claude Auvray n'a recours qu'à des toiles peintes qui montent ou descendent des cintres et servent à isoler une action, souligner une émotion développée par le chant. Ce choix me semble judicieux dans la mesure où par ailleurs, il a opté pour des costumes historiques inscrits dans l'époque de composition de l'opéra. Le contraste entre les deux ne fait que souligner la situation des personnages en évitant une approche cinématographique et un décor pléthorique inspiré du film de cap et d'épée (tentation certaine pour cet opéra).
Il va sans dire qu'encore une fois, l'orchestre de l'Opéra de Paris dirigé par Philippe Jordan est tout simplement exceptionnel, ne faisant que souligner la pauvreté du chant...
Ce que je voudrais souligner en dehors de ces remarques (qui m'ont conduit finalement à quelques critiques), c'est à quel point cet opéra est mal fichu. C'est Verdi que j'attaque! Le titre de l'opéra ne nous indique rien quant à l'action qui va se dérouler et il conviendrait aussi bien à Rigoletto ou au Bal masqué. Nous pourrions nous attendre à voir, à ressentir l'inexorabilité du destin qui s'accomplit quelles que soient la volonté et la vitesse avec lesquelles les personnages essaient de le fuir. Or, à l'écoute au casque de la version de Riccardo Muti, comme lors de la représentation à Bastille, je n'ai rien éprouvé. C'est un opéra qui me laisse totalement froid. Pourtant je ne suis pas insensible à la musique de Verdi (voir mon billet sur Rigoletto), mais là rien. Que cet opéra ait rencontré un grand succès lors de sa création pour des raisons politiques et historiques, je peux le comprendre. Au travers de ce prisme, habité par de légitimes revendications d'indépendance, l'opéra est clairement engagé. Cependant, il s'agit de raisons extra-musicales. Je reconnais n'être pas très au fait du style verdien, même si j'ai déjà écouté et vu un certain nombre de ses opéras (je vais d'ailleurs parce que je n'aime pas lire quelques ouvrages, écouter d'autres œuvres comme le Macbeth de Bastille diffusé sur France 3). Pour revenir sur La forza del destino, ce qui empêche toute émotion de se déployer, tout attachement aux personnages et à leur devenir, est la constante intervention du chœur (soldats, pauvres, religieux) et la multiplication d'actions extérieures au drame du trio principal. Le plus mal venu et le plus insupportable étant le rataplan (Acte 3, scène 14)
Cet opéra m'apparait comme une sorte de patchwork d'éléments hétéroclites, à peine esquissés : une histoire d'amour qui n'a jamais vraiment eu lieu, une faute qui n'a jamais été commise, une fuite qui ne mène à rien, des scènes de guerre et de duel, des élans religieux etc. Quelle est l'unité de tout cela? La musique aurait pu l'être. Il ne me semble pas que ce soit le cas.
Enfin, a-t-on vraiment analysé le personnage de Leonora? Loin de moi l'idée d'engager une lecture féministe mais du point de vue dramatique, Leonora est, une fois de plus chez Verdi (comme chez Wagner par ailleurs), le bouc émissaire des hommes (quoique chez Wagner la femme se sacrifie, tandis qu'ici elle est assassinée). Elle est en effet maudite par son père car elle voulait s'enfuir avec un homme dont le rang social semblait indigne (on apprendra qu'en fait c'est un fils de roi). Perdant son amant dans la fuite, elle est alors pourchassée des années durant par son frère qui veut venger la mort (accidentelle) de son père et l'affront d'une sœur désobéissante. Le seul refuge qu'elle envisage est alors la foi. Et ce n'est pas au sein d'un cloître confortable mais dans un véritable ermitage : seule au désert avec sa faute. Mais quelle faute? Celle d'avoir voulu aimer? J'en viens à me demander pourquoi fait-elle preuve d'autant de masochisme? Le pire étant que Verdi ne met aucune distance critique dans ce sacrifice. Le seul lieu possible de l'union des amants est au paradis... Piètre consolation!
Même ceux qui ne connaissent pas cet opéra en connaissent la symphonie d'ouverture (jouée à Bastille comme prélude à l'acte 1) et c'est peut-être en effet tout ce qu'il y a à retenir de cette œuvre...