vendredi 17 juin 2011

Le Gaigne, Paris, 4e arrondissement


Il y a quelque chose de familier et à la fois de doucement original (sans être exotique) dans la cuisine du chef Mickaël Gaignon qui officie dans son propre restaurant Le Gaigne rue Pecquay dans le 4e arrondissement. La localisation pour commencer est plutôt originale : le Marais est plus réputé pour sa nourriture surgelée-micro-ondée servie par de beaux mâles à d'autres beaux mâles que pour ses tables gastronomiques... Le lieu ne paie pas de mine : 20 couverts casés (tassés?) dans un petit espace carré, aux murs violacés, pourpre. Sans être jolies, ces teintes ont au moins le mérite de ne pas agresser l’œil. Que dire par contre des luminaires et du lavabo des toilettes? Sceptique, je vous laisse juger. Mais qu'en est-il de l'essentiel, c'est-à-dire de l'assiette?
N'ayant peur de rien et pour une occasion toute spéciale, nous n'hésitâmes pas une seconde à choisir le menu dégustation accompagné des vins, choisis avec beaucoup gout et d’originalité par l'épouse-maître d'hôtel-sommelière du chef.

1e entrée : Roulé au jambon blanc de M. Leguel et macédoine de légumes à la saucisse de Morteau, poireaux vinaigrette. Oui, oui : un roulé de jambon à la macédoine ! A quand remontait mon dernier roulé de jambon à la macédoine digne de ce nom? car il va sans dire que toutes les cantines scolaires ont dégouté des générations entières de cette printanière entrée... Or pour moi, ce fameux roulé est une sorte de madeleine : je revois ma Tata Chantal servir ses roulés de jambon avec ses doigts, sans oublier de les lécher entre chaque assiette servie... Ici, M. Gaignon choisit des ingrédients de premier choix et ajoute une petite note fumée avec de la saucisse de Morteau. Le tout est agrémenté d'un œuf mimosa et d'un petit poireaux relevé non d'une vinaigrette mais de graines germées au gout piquant. Bonne entrée en matière donc : printanière, fraîche, française et familière. Là-dessus un Rosé de Loire 2008 - Château la Franchaie, loin des rosés Gris de blanc, transparents et minéraux, on a à faire ici à un rosé soyeux et presque gras, aux notes de fruits confits. Une belle découverte...ce ne fut pas la seule.

2e entrée : Nems de sardine, gaspacho de tomate au vinaigre de riz, maquereau au vin blanc, cake aux olives. Là une petite note d'exotisme avec un mariage de l'Asie et de la Méditerranée. Le croustillant du nem contraste très bien en bouche avec le gras moelleux du filet de sardine. Le petit gaspacho, façon sauce pour nem, apporte l'acidité qu'il faut. Les feuilles de salade et de menthe poivrée rappellent vraiment la restauration asiatique. Le filet de maquereau sur un cake aux olives n'apporte pas grand chose mais il ne gâche pas non plus le nem. Pour accompagner cette deuxième entrée, ainsi que le premier plat, il nous a été proposé un Côtes du Rhône blanc "Cuvée les Diablotines" 2010 - Domaine des Espiers. Je ne bois que très rarement du Côtes du Rhône blanc, tout simplement parce que je en les connais pas et dans mon souvenir, il n'y en a que tout aussi rarement sur les cartes. Celui-ci était très clair, presque transparent et dégageait en bouche un gout de réglisse très agréable. Honorable sur les poissons gras, il a révélé tout son potentiel sur le premier plat.

1e plat : Saint Pierre des Côtes Basque poêlé au thym, petits pois et champignons du moment, Balsamique de Modène 8 ans d'age. Après le contraste entre familiarité et exotisme des entrées, ce plat m'a complètement conquis. Bien évidemment la qualité, la fraicheur et la cuisson du poisson étaient parfaites...on en attendrait pas moins mais la préparation associait gouts et textures de façon très choisie. Les petits pois frais, entiers et en purée, ainsi que les girolles apportaient douceur et onctuosité à l'acidité des petits morceaux de tomates confites et du vinaigre de Modène. Le Côtes du Rhône blanc a alors révélé ses notes plus minérales, accompagnant le tout avec discrétion. Rien de pire qu'un vin qui veut parler plus fort que le plat,surtout quand il s'agit d'un poisson !

2e plat : Pintade de la ferme de M. Quintar au chorizo cuite en croute de sel, spaetzle poêlés au persil frais. Avis très contrasté sur ce plat de viande. La pintade : très bien on en mange peu. Mais la croute de sel, si elle permet une cuisson à l'étouffé, sale complètement la viande, ce qui n'est pas très agréable. Le chorizo relève la viande mais peut-être un peu trop également. Malgré l'incongruité de leur présence dans ce plat aux accents une fois encore méditerranéen, la poêlée de spaetzle au persil et au chorizo est excellente. Pour cette viande un bon classique Saint-Emilion Grand Cru 2003 - Château vieux Sarpe. Il ne fallait rien moins qu'un Saint-Emilion pour faire face au chorizo et au sel. Sans être ni une fausse note ni une mauvaise idée, la préparation de ce plat est peut-être à revoir pour réduire le sel.

Fromage : Nuage d'Epoisses au Marc de Bourgogne, mesclun. Alors là!! Pour quelques euros de plus, une découverte extraordinaire! Une mousse (préparée au siphon) d'époisses relevée de Marc de Bourgogne. On retrouve intacts toute la puissance du fromage et son gras sans sa consistance onctueuse habituelle. Au contraire la langue est surprise qu'une telle légèreté mousseuse soit si goûtue et forte en bouche, d'autant plus avec la pointe de Marc qui relève le tout. On finit ainsi le repas sur un fromage sans se surcharger l'estomac. M. Gaignon a réussi à conserver le parfum, l'essence, l'esprit de l'époisses. Bravo! Le Saint-Emilion tient tout à fait le coup sur cette invention : son soyeux tanique sied très bien à la force de cette mousse.

Dessert : Cerises pochées sur un biscuit dacquoise, crème au kirsch, amandes caramélisées et tuile croquante. On finit sur une note de douceur. Le chef à la bonne idée de ne pas jouer sur les contrastes entre le fromage et le dessert et de rester dans la mousse. L'ensemble est doux, fruité, légèrement sucré, un peu craquant du fait des amendes. Très agréable. Bien évidemment sur un dessert aux cerises, rien d'autre qu'un Maury Vintage 2008 - Mas Amiel. Ce vin doux naturel fait également office de digestif ou de porto.

Pour résumé : techniquement très bien maîtrisé, original sans être excentrique, accueil discret et efficace et prix très abordables. Visiblement les touristes anglais et américains sont plus au fait de cette perle perdue dans le Marais que les parisiens : ils constituaient 50% des clients ce soir-là.
Le chef change de carte tous les mois... on a hâte de voir ce qu'il peut nous proposer pour l'été.