mardi 30 août 2011

Art roman, Musée national d'art catalan, Barcelone

Je n'avais pas ressenti une émotion esthétique et spirituelle aussi intense dans un musée depuis bien longtemps!!!
 Les salles romanes du Musée National d'Art Catalan de Barcelone sont tout simplement magnifiques. Ces vastes salles présentent dans leurs dispositions architecturales originales de nombreuses fresques dans un très bon état de conservation nous révélant une palette de couleurs d'une grande fraîcheur. La disposition des œuvres, les lumières sont très bien pensées et adaptées aux fresques religieuses permettant de recréer des espaces proches de ceux des églises où elles se trouvaient initialement. Les conservateurs ont d'ailleurs eu la très bonne idée de ne pas masquer les supports de présentation des fresques, rappelant ainsi leur caractère d'intériorité et évoquant l'architecture les abritant initialement.
Il ne faut pas oublier en regardant ces fresques, qui pour nous sont des œuvres d'art dans un musée, qu'il s'agissait pour les croyants du Haut Moyen Age d'images sacrées. Notre civilisation depuis la Renaissance baigne dans les images, elles n'ont plus pour nous le caractère exceptionnel, rare, auratique qu'elles devaient posséder pour celui qui pénétrait dans une petite église de montagne. Nous voyons des saints que nous nous amusons à identifier par les symboles de leurs martyres, ils devaient y voir des intercesseurs entre le monde d'ici-bas et le monde céleste. La plus grande part des fresques d'absides présentées ici comportent un Christ en gloire dans une mandorle. On voit aussi de nombreux signes relevant de l’Apocalypse, comme les roues en flammes dans la photo ci-dessus. On notera malgré une palette peu étendue, l'absence d'uniformité ou de monotonie de la composition : les registres se superposent et les différents personnages (orants, saintes et saints, anges, Vierges) y trouvent place en fonction d'une stricte hiérarchie.
L'organisation iconographique se fait dans toutes les dimensions. Ici les saintes et les saints s'ordonnent horizontalement autour d'une fenêtre simple en plein cintre très étroite. Elle diffuse la lumière et le Christ en majesté est donc très logiquement situé au dessus en plein centre de l'abside. Dans des médaillons sur fond bleu les symboles des 4 évangélistes et dans les parties latérales de l'abside deux grands anges en mouvement vers l'extérieur. A l'interface de ces deux zones, des anges aux ailes multiples. Dans le plan vertical s'alignent le Christ, la main de Dieu le Père sortant d'un nimbe circulaire et enfin l'anneau mystique.
Ce qui fait la particularité de cette fresque est l'extrême stylisation des visages des personnages qui ne sont pas sans rappeler ceux des manuscrits irlandais. E. Kluckert, dans L'art roman, Architecture, Sculpture, Peinture (Ullmann, 2004), rappelle en effet que la diffusion de modèles iconographiques s'est faite par l'intermédiaire des manuscrits et enlumineurs irlandais, recrutés pour mettre en œuvre le projet carolingien d'un empire intellectuellement unifié. Il n'est donc pas impossible que ces fresques catalanes par l'intermédiaire des textes enluminés diffusés dans l'empire soit inspirées d'images irlandaises. Il est à noter de plus le parallèle entre le fond de certaines fresques utilisant les 3 trois couleurs primaires et les fond des miniatures de Beatus de Liebana. 
Le contraste est donc d'autant plus fort avec les modèles beaucoup plus réalistes directement inspirés par les byzantins. On peut le voir sur la photo ci-contre où le mouvement de cheveux du personnage est naturaliste. J'ai été surpris par certains choix de représentation comme cette annonciation où Marie n'est pas devant un livre mais en train de filer. Cette surprise n'étant due qu'à l'habitude de voir Marie, en femme lettrée devant une bible. Or nous ne sommes pas encore là à une époque où le livre est un objet courant et où la femme peut-être considérée comme capable d’intellection. 
En ce qui concerne les arts plastiques, deux choses m'ont étonné. Tout d'abord un crucifix dont le Christ est habillé d'une longue tunique rouge et bleue. Je n'en avais jamais vu. Il symbolise un Christ en gloire amis sur la croix. Ensuite, absolument stupéfiant ! : un chapiteau dans le style corinthien mais dans l'esprit proprement médiéval chrétien, habité, hanté par le démon sous toutes ses formes. On voit en effet poindre dans les volutes végétales de l'acanthe, une face de démon-serpent. Il y a là une histoire des formes à faire : comment la forme d'une plante méditerranéenne en vient à inspirer le chapiteau d'une colonne puis devient l'objet d'une reprise dans un tout autre monde mental et religieux. Le végétal, la nature n'est plus thème de représentation mais se voient investis d'une présence mystérieuse et possiblement dangereuse. Quoique... ? On trouve souvent dans les ouvrages sur l'art roman, l'idée que les spectateurs contemporains de ces œuvres en étaient effrayés. Mais qu'est-ce qui permet de l'affirmer ? A-t-on les traces écrites de leurs effets affectifs ? Une telle affirmation ne relève-t-elle pas plutôt du préjugé selon lequel nos ancêtres étaient plus naïfs ? Il est certain que ces œuvres et ces images étaient les seules auxquelles ils avaient accès et qu'elles devaient de ce fait les impressionner fortement. Il est très difficile pour nous qui baignons dans les images depuis notre naissance, d'imaginer (car la sensation ne peut que nous échapper) les effets sur les hommes d'alors de ces images apparaissant au cœur d'un lieu de culte. Quel monde mental pouvait être le leur ?
On trouve de très bonnes photographies des œuvres de ce musée sur cet album Flir.


La bande son de cette visite peut être l'enregistrement par l'Ensemble Organum du Chant mozarabe de la cathédrale de Tolède.