vendredi 26 octobre 2012

Handel, Rodelinda, Théatre des Champs-Elysées

Un heureux concours de circonstances (partiellement contrôlé...), m'offrait l'occasion d'aller écouter (et non voir : version de concert) cet opéra de Handel découvert l'année dernière grâce à une retransmission du MET et un DVD. C'est une œuvre que j'aime beaucoup, tant par le livret que pour sa musique. J'avais donc acquis l'enregistrement récent d'Alan Curtis et de son Compesso Barocco (Archiv Produktion, 2005), pour moi, l'enregistrement de référence au disque, loin devant la mollesse de la direction de Kraemer (Virgin, 1998), mais en deçà tout de même de la distribution vocale impeccable du DVD de Christie, pour ne rien dire de la mise en scène !
La distribution vocale s’annonçait de haut vol mais avec une redistribution des voix par rapport à l'enregistrement. Ci-dessous à droite, la distribution du Théâtre des Champs-Élysées et, à gauche, celle de l'enregistrement.
Karina Gauvin Rodelinda Simone Kermes
Sonia Prina  Bertarido Marijana Mijanovic
Romina Basso  Eduige Sonia Prina
Topi Lehtipuu  Grimoaldo Steve Davislim
Delphine Galou  Unulfo Marie-Nicole Lemieux
Matthew Brook  Garibaldo Vito Priante
 
Pour Rodelinda, Karina Gauvin comme Simone Kermes excellent dans la noble fierté, le courage à toute épreuve, la vertu inaltérable. Autant, Sonia Prina (dont la voix pourtant ne me plait guère) m'avait convaincu dans le rôle d'Eduige, autant elle m'est apparue comme peu taillée pour le rôle de Bertarido. Romina Basso ayant ainsi repris le rôle d'Euige y a mis la même musicalité, le même engagement physique et psychologique que dans toutes ses autres prises de rôle. Cet engagement peut parfois desservir le rôle comme dans le cas de sa Didon de Purcell, il y a quelques années, mais dans les personnage de Handel ou Vivaldi, elle est exceptionnelle. J'attendais beaucoup de Topi Lehtipuu qui s'est montré bien peu agile dans les passagi ou les moments de virtuosité, malgré la belle couleur de sa voix. Par contre, très belle surprise du côté des deux rôles annexes de Unulfo et Garibaldo. Une jeune française dans le premier rôle : Delphine Galou. Beaucoup d'engagement, très belle voix et belle maîtrise : à suivre ! On sent d'emblée chez Matthew Brook, une expérience bien plus ample dont il tire profit pour donner ses airs avec une aisance et une sincérité sidérantes. Dans l'ensemble une bonne distribution mais l'idéal aurait été pour moi : 
Rodelinda Simone Kermes ou Karina Gauvin (loin devant Renée Fleming)
Bertarido Marijana Mijanovic
Eduige
Romina Basso
Grimoaldo Steve Davislim
Unulfo Marie-Nicole Lemieux (malgré la belle prestation de
Delphine Galou)
Garibaldo
Matthew Brook (malgré le bel enregistrement de Vito Priante)
On a souvent reproché à Alan Curtis une direction assez indéterminée pour ne pas dire molle. A mes oreilles ces enregistrements n'en font pas preuve, mais il est vrai que sur scène ses gestes sont assez flous. L'orchestre s'en sort semble-t-il très bien tout seul, malgré un premier violon très cabotin et d'une rare indiscipline (parlant et même plaisantant pendant les récitatifs des chanteurs !). Dans l'ensemble une belle soirée lyrique, principalement grâce au génie de Handel pour lequel mon admiration ne cesse de croître.

mercredi 3 octobre 2012

Quatuor Pavel Haas, Auditorium du Louvre

Suite de la saison de quatuors à cordes à l'Auditorium du Louvre avec la découverte du Quatuor Pavel Hass pour un programme très classique, voire populaire : le premier de Smetana et La jeune fille et la mort de Schubert, mais du coup d'autant plus exigeant, vu le nombre d'interprétations que les spectateurs ont pu déjà entendre au concert ou au disque. Seule note d'originalité, surtout comme pièce introductive : les 3 divertissements de Britten. Cependant, il était intéressant de noter en écoutant le quatuor de Smetana, tout ce que Britten lui devait surtout dans le premier divertissement, la marche. Ce fut un concert exceptionnel, l'un des plus beaux de ma saison. Ce quatuor tchèque fait preuve d'un engagement physique, d'une musicalité, d'une vivacité exceptionnelle. Leur fulgurance dans le 3e divertissement de Britten (Burlesque), la fameuse fêlure du mouvement vivace du quatuor de Smetana, la fuite désespérée de la jeune fille devant la mort, marquée par quelques pauses, tout cela a été rendu avec toutes les qualités d'un grand quatuor. Il y a de l'intelligence mais aussi de la vie, de la réflexion et de la spontanéité dans leurs interprétations. J'attends donc avec impatience la sortie de leur dernier enregistrement comprenant justement La jeune fille et la mort et le Quintet en do majeur de Schubert !

dimanche 8 juillet 2012

Paul Wittgenstein

Non, il ne s'agit pas d'une erreur, ce billet est bien consacré à Paul Wittgenstein et non à Ludwig Wittgenstein. Il est vrai que ma formation m'inciterait plutôt à parler de Ludwig plutôt que de Paul. C'est à l'occasion de recherche pour la rédaction d'une fiche sur le philosophe Ludwig Wittgenstein que je fus amené à faire connaissance avec son frère Paul. Des sites disjoints de mon paysage culturel se sont, grâce à lui, trouvés reliés. Je n'avais, du philosophe, qu'une connaissance relativement élémentaire. Je fut très surpris de découvrir des éléments de sa biographie qui en font un personnage extraordinaire. Parmi ces éléments biographiques, son frère Paul était mentionné comme un pianiste virtuose ayant perdu son bras droit pendant la première guerre mondiale et ayant commandé des pièces de piano à de grands compositeurs du début du siècle. Ma réaction première à la lecture de cet article de Wikipédia, fut de relever ce qui me semblait être un paradoxe : comment pouvait-on encore jouer du piano avec un seul bras et commander dés compositions malgré ce handicap ? J'ai donc poussé un peu plus avant mes recherches sur Paul Wittgenstein et j'ai découvert qu'il avait bien mené une carrière de pianiste virtuose malgré son amputation.
Ci-dessous la liste des compositions dont il avait été le commanditaire ou destinataire :
Bortkiewicz Sergei : concerto n° 2 en mi bémol majeur op. 28 (1929)
Braun Rudolf : concerto (1927)
Britten, Benjamin : Diversions op. 21 (1942)

Demuth, Norman : concerto (1947)
Hindemith Paul : Klaviermusik op. 29 (1924)
Kastle, Leonard : concerto
Korngold, Wolfgang : concerto en ut dièse op. 17 (1923)
Prokofiev, Serge : concerto n° 4, op. 53 (1931)
Ravel, Maurice : Concerto en ré majeur (1932)
Schmidt, Franz : concerto n° 2 en mi bémol (1934)
Strauss Richard : Paregon zu Sinfonia Domestica, op. 73 (1925) et Panathenäenzug, op. 74 (1926)
Weigl, Karl : concerto (1924)

Britten, Hindemith, Korngold, Prokofiev, Ravel, Strauss !! Ce Paul ne manquait pas de crédit auprès des plus grands compositeurs de son temps ! C'est ainsi que par l'intermédiaire d'un frère, pianiste virtuose malgré son handicap, Ludwig Wittgenstein entra en relation indirecte avec des musiciens que je connais et que j'apprécie. De plus, Paul devenait un lien, un fil directeur parmi des compositions, des compositeurs, des esthétiques très différentes. Tout un nouveau réseau était à explorer. Enfin, le destin de cet homme me rappelait un texte de Sartre issu de Cahiers pour une morale portant sur la liberté : " Me voilà tuberculeux par exemple. Ici apparaît la malédiction (et la grandeur). Cette maladie, qui m'infecte, m'affaiblit, me change, limite brusquement mes possibilités et mes horizons. J'étais acteur ou sportif ; […] je ne puis plus l'être. Ainsi négativement je suis déchargé de toute responsabilité touchant ces possibilités que le cours du monde vient de m'ôter. C'est ce que le langage populaire nomme être diminué. Et ce mot semble recouvrir une image correcte : j'étais un bouquet de possibilités, on m'ôte quelques fleurs, le bouquet reste dans le vase, diminué, réduit à quelques éléments.
Mais en réalité il n'en est rien : cette image est mécanique. La situation nouvelle quoique venue du dehors doit être vécue, c'est-à-dire assumée, dans un dépassement. Il est vrai de dire qu'on m'ôte ces possibilités mais il est aussi vrai de dire que j'y renonce ou que je m'y cramponne ou que je ne veux pas voir qu'elles me sont ôtées ou que je me soumets à un régime systématique pour les conquérir. En un mot ces possibilités sont non pas supprimées mais remplacées par un choix d'attitudes possibles envers la disparition de ces possibilités. " Tuberculeux ou manchot, la vie de Paul Wittgenstein m'obligeait à me rappeler une des caractéristiques de l'existence humaine : la capacité de dépassement des données étrangères, voire opposées à la volonté de l'individu.
Ainsi Ludwig me conduisit à Paul qui me conduisit à tout un groupe de compositeurs mais également un retour à Sartre. En termes deleuziens, on pourrait dire que ma pensée fit ainsi jaillir un tout nouveau rhizome.

lundi 2 avril 2012

Grande semaine d'art vocal sacré

La Semaine Sainte devient de plus en plus à Paris une sorte de festival informel. Les salles ne se concertent pas mais le mélomane peut élaborer une belle programmation personnelle. Ce fut mon cas et je choisis principalement des œuvres et des ensemble que je n'avais jamais eu l'occasion d'écouter au concert.
Cette semaine commença lundi 2 avril avec La Création de Haydn par Accentus et Akademie fur alte Musik Berlin dirigés par Laurence Equilbey à Pleyel. Suivie, le vendredi 6 avril par les Extravagances sacrées à 40 voix de Monteverdi, Striggio et Benevoli par Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet à la Chapelle Royale de Versailles. Pour finir dimanche 8 avril par La passion selon Saint Matthieu de Bach par Les Musiciens du Louvre Grenoble de Marc Minkowski, de nouveau à Pleyel.
Bien que connaissant (un peu) et aimant (beaucoup) les quatuors de Haydn, je n'avais jamais eu l'occasion d'écouter ses œuvres vocales, opéras ou oratorio, et notamment sa fameuse Création. J'avoue, après écoute et malgré la somptueuse interprétation proposée par Laurence Elquilbey et l'Ensemble Accentus, ne pas être très emballé par l’œuvre. Est-ce le genre oratorio ou bien cette Création qui me pose problème ? Je ne connais pas beaucoup d'oratorio, mais ceux que j'ai écouté me laissent un avis partagé. J'aime beaucoup la Judtiha triomphans de Vivaldi, mais ma découverte récente du Judas Maccabaeus de Handel ne m'a guère séduit.
Pourtant, ce soir du 2 avril, à Pleyel, toutes les conditions étaient réunies pour pénétrer cette musique. Les solistes étaient aguerris et flatteurs : Sandrine Piau, Topi Lehtipuu et Johannes Weisser. L'Ensemble Accentus et l'Akademie fur alte Musik Berlin étaient magnifiques. Accentus fêtait ses 20 ans (et tout le gratin politico-culturel était présent, jusqu'à l'ancien Ministre de la culture) et la maturité vocale se percevait particulièrement bien. Quant à Laurence Equilbey, quelle femme ! Elle porte un costume d'homme car elle dirige comme un homme : d'une main de fer ! Qu'on est loin de l’évanescente Emmanuelle Haïm ! A aucun moment, elle ne laisse l'orchestre ou le chœur aller son chemin. Ce qui lui permet de ciseler l'ensemble des détails de la partition tout en les intégrant dans la vision d'ensemble d'une lecture cohérente. Une grande chef et un grand ensemble !

Le voyage dans l'espace pour ce rendre à Versailles fut aussi un retour dans le passé. A l'occasion de leur dernier enregistrement, la Chapelle Royale accueillait des œuvres vocales baroques par Le Concert Spirituel d'Hervé Niquet : écrin somptueux pour œuvres rares. Après une entrée en procession depuis l'extérieure de la chapelle, les chanteurs et l'orchestre prirent place au centre en 4 groupes se faisant face, le public était réparti à l'avant et à l'arrière de la nef. Le projet d'Hervé Niquet consistait en effet à reconstituer un office des Fêtes de la Saint Jean à la Cathédrale de Florence. Ainsi s'enchainèrent la messe Missa sopra Ecco si beato giorno à quarante voix, le motet in cinque corri Ecce beatam lucem   (1561) à quarante voix, tous deux d'Alessandro Striggio (1537-1592), puis un plain chant du propre harmonisé de Francesco Corteccia (1502-1571), suivi du Memento à huit voix de Monteverdi (1567-1643); pour finir par les Laetatus sum, Miserere et Magnificat pour deux chœurs d'Orazio Benevoli (1605-1672).
La musique de Striggio mérite bien le terme d'extravagance vu les effectifs mis en jeu et la construction polyphonique qu'elle suppose. Une telle composition ne pouvait répondre qu'à une demande tout aussi exceptionnelle : le mariage de Guillaume Gonzaque, duc de Mantoue. Tout à fait conscient de ce qu'il vient de produire, Striggio, au service de la cour de Florence, écrit au duc le 21 août 1561 : "Je viens juste de composer une musique à 40 voix sur des paroles écrites en l’honneur de votre mariage. Une telle chose pour un si grand nombre n’a jamais été entendue jusqu’à aujourd’hui".
Toutes compositions de ce concert ont en commun une écriture polychorale virtuose et monumentale qui ne sacrifie pourtant pas la musicalité. Elles sont un écho à l'architecture qui les a vu naître. On suppose en effet qu'elles furent exécutées dans la cathédrale de Florence. Il ne fallait donc pas moins que la Chapelle Royale de Versailles pour de telles œuvres. Niquet a donc privilégié une disposition acoustique et non pas liturgique de ses musiciens. Il a pensé la disposition des chœurs et de leurs groupes orchestraux respectifs non en direction de l'autel, mais en fonction de l'espace de la chapelle qui devient un véritable instrument, un espace sonore vertical, une caisse de résonance. Pour l'auditeur l'effet est extraordinaire car les voix montent, se mêlent et résonnent bien au-delà de leur émission, pour gagner une sorte d'autonomie leur donnant une existence indépendante. Elles semblent comme flotter dans l'air.









Retour à Pleyel et à une extrême sobriété dimanche 8 avec La passion selon Saint Matthieu de Bach par Les Musiciens du Louvre Grenoble de Marc Minkowski. J'avais eu l'occasion d'entendre cette passion au Théâtre des Champs-Élysées en 2009 par Malgoire, La Grande Écurie et la Chambre du Roy, le Chœur de chambre de Namur et, entre autres, Paul Agnew, Olga Pasichnyk et Damien Guillon. Les choix esthétiques de Minkowski l'ont conduit à proposer une tout autre distribution vocale : il n'y a plus de chœur distinct des solistes. Ce sont des groupes de solistes (chœur I, II et Ripieno) qui forment le chœur. Ainsi, en dehors de l’Évangéliste dont le rôle est assigné à un seul chanteur (l'excellent Markus Brutscher), les autres chanteurs alternent dans les autres rôles. Pour l'auditeur, ce choix conduit à une dédramatisation du propos car il n'y a plus de dialogues entre des personnages distingués par leur assignation à un chanteur et un ensemble cohérent qui serait un chœur distinct. La passion en tant que genre semble dès lors rompre avec l'oratorio. Le drame est intériorisé et en quelque sorte spiritualisé par sa distribution au sein de l'ensemble des chanteurs. Tous prennent part à l'action, à la louange et à la prière. C'est donc une vision très liturgique qui est proposée par Minkowski. Une vision qu'il a déjà appliquée dans ses enregistrements de la Messe en si et de La passion selon Saint Jean. A découvrir ou redécouvrir !

vendredi 9 mars 2012

Wagner, Parsifal, Opéra de Lyon

Quelle œuvre étrange que ce Parsifal de Wagner! Elle ne mérite pas en effet le nom d'opéra mais bien de "Bühnenweihfestspiel", "événement scénique sacré" (je trouve la traduction de "festspiel" par "festival" particulièrement inappropriée à cette œuvre). Par son écriture, ses proportions, son message, sa distribution, c'est une œuvre exceptionnelle. Ce n'est pas ma préférée de Wagner, ni du répertoire en général mais c'est une œuvre qu'il faut connaître car elle concentre tout la réflexion ouverte par les romantiques sur la question de la place et de la fonction de l'artiste dans la société moderne. Il est tout de même extraordinaire, pour nous, hommes du 21e siècle, de voir l'ambition intellectuelle folle qui a pu animer des artistes comme Victor Hugo ou Wagner. L'idée que l'artiste est le visionnaire de la société de demain, qu'il est le messie des temps futurs est belle et bien morte pour nous. L'art, et tout particulièrement l'opéra, que ce soit dans ses créations et ses mises en scène, ne me semble pas sorti d'une forme de nihilisme décadent et facile, un peu poseur (j'y reviens à propose de la mise en scène de Don Giovanni par Kusej à Salzbourg en 2006).
Je ne parlerai pas de l’œuvre en elle-même mais de la mise en scène qui en a été proposée à Lyon en ce début du mois de Mars par le canadien François Girard. Double première pour moi : premier Parsifal sur scène et première visite à l'opéra de Lyon. Inquiétude pour commencer car la première avait été annulée en raison d'un problème technique. La seconde date, la notre, fut donc la première. Globalement je considère que c'est une réussite par la vision qui est proposée, la qualité de la direction de l'orchestre et l'homogénéité de la distribution vocale (même si sur chacun de ces points j'ai aussi quelques réserves à émettre).
Commençons par l'orchestre. J'ai pris conscience lors de cette représentation que le travail exceptionnel de Philippe Jordan avec l'orchestre de l'opéra de Paris m'avait habitué, depuis deux ans maintenant à une qualité d'exécution tout autre. Les effectifs me semblaient réduits et si Kazushi Ono parvient à emmener son orchestre dans les méandres de cette partition, je n'ai pas entendu un orchestre exceptionnel, ni ce raffinement dans le travail des détails qui caractérise le chef suisse. Rien d'indigne ni même d'indigent, loin de là ! Mais je sais ce qu'un bon orchestre et un bon chef peuvent donner dans Wagner après le Ring de Paris l'année dernière. A Lyon, Kazushi Ono parvient à faire respirer l'orchestre et la musique de Wagner entre les moments lents, ensommeillés ou bien sacrés et hypnotiques ou bien encore les moments de lutte, de combat. Ce qui est tout particulièrement réussi, c'est l'adéquation de la direction musicale et de la mise en scène. François Girard a complètement assumé l'aspect grande messe musicale et scénique de la partition. Au risque, toute fois, de faire retomber l'attention dans le dernier acte où une certaine animation scénique aurait pu venir compenser l'absence d'enjeu dramatique du livret.
Trois actes, deux décors radicalement différents. Celui du dernier acte est celui du premier mais transformé. Le changement demandait beaucoup de temps puisque nous avons eu un premier entracte de 50 minutes ! Girard a utilisé l'intégralité du plateau, en supprimant les pendrillons et en dressant un écran de vidéoprojection sur le mur du fond. C'est ainsi, dépouillé que l'on perçoit l'étroitesse du plateau de l'opéra de Lyon, ou plutôt, du gigantisme de celui de Bastille (ou du Met où cette production sera donnée en 2013) ! 
Lors de la très longue ouverture, deux projecteurs (pas très agréables) éclairent violemment la salle. Une toile brillante est tendue entre elle et la scène. La lumière baisse et le plateau s'éclaire. On découvre alors à travers cette toile, des spectateurs qui nous regardent et qui, un à un, se lèvent, se séparent en groupes distincts d'hommes et de femmes. Les hommes enlèvent leurs vestes et leurs cravates. C'est ainsi nous, spectateurs, qui sommes conviés au rite sacré qui va nous être montré. C'est notre rédemption par la musique qui est en jeu.
Un sol en cours de désertification, craquelé, s'incline en pente douce vers la salle. Il est traversé de bas en haut par un très mince filet d'eau rouge. Ce ru sépare le groupe des hommes en chemise blanche coté cour de celui des femmes en noir coté jardin. A la toute fin de l'acte, Parsifal ayant été pétrifié par l'apparition du Graal est abandonné par Gurnemanz et reste seul sur le plateau. Les rives du maigre ruisseau s'écartent alors comme la plaie ré-ouverte d'Amfortas, comme la plaie du Christ. 
L'une des propositions de Girard fut de mettre sur scène, celles qui ne sont pas distribuées, qui n'apparaissent ni dans la partition ni dans le livret : ces femmes en deuil, ou se rendant à un office sacré vêtues de noir et portant voilette. Elles sont comme les doubles inversés des filles-fleurs du deuxième acte. Ce choix rééquilibre plastiquement et symboliquement la distribution initiale, très masculine, mais par contraste réduit le rôle exceptionnel de Kundry. Elle devient le chorifé d'un ensemble dont elle incarnerait la nature duelle et duale. C'est pourtant un personnage exceptionnel que cette Kundry. Quel rôle ! Il annonce (on pouvait tout particulièrement l'entendre à cette occasion) la Salomé de Strauss.
Durant tout le premier acte, les hommes forment un double cercle de chaises et semblent se livrer à une sorte de rituel sacré. Girard a eu la très bonne idée d'inventer une gestuelle symbolique, sacrée, atemporelle, œcuménique développée tout au long de l'opéra.
Le plus grand moment de ce premier acte fut l'apparition du Graal. Moment wagnérien absolu par la fusion de la musique et des arts visuels. Pour manifester l'épiphanie du Graal sans montrer quoi que ce soit, Girard a eu recours à une vidéo de Peter Flaherty qui semble être l'apparition à contre jour d'une planète ou d'un énorme objet circulaire. Le mouvement est très lent, très beau et se clôt sur l'évanescence d'un fumerolle qui s'élève : quelque chose d'incandescent était là dont il ne reste que cette trace qui s'efface. Ces vidéos en général sont très bien pensées car elles n'accaparent pas l’œil, ne détournent jamais l'attention en dehors de la scène ou de la musique, mais elles l'accompagnent ou lui donnent un ancrage spatiotemporel, parfois symbolique : nuages plus ou moins gris ou éclairés, paysages, collines qui semblent être des parties d'un corps humain.
Le second acte est visuellement le plus fort même si la dramaturgie n'est pas la plus réussie. Deux immenses parois rocheuses s'élèvent en diagonale sur le plateau ne laissant qu'un passage au travers duquel se dessine par la vidéo un canyon. Nous sommes dans le domaine maudit de Glingsor : tout est rouge, les personnages baignent dans le sang. L'intégralité du plateau est recourvert d'une nappe d'eau rouge sang. Les gardiennes-séductrices du magiciens sont toutes réparties sur le plateau quand s'ouvre le rideau : même robe blanche, même longue chevelure noire ramenée sur le visage (évoquant pour moi le personnage du film The Grudge, ci-contre). Elles sont toutes derrières leur lance, avatars frauduleux de la fameuse lance que ramera Parsifal, vainqueur des tentations de Kundry. De la fumée sort de ces lances, comme si elles étaient fichées dans le sol même de l'Enfer. Les filles-fleurs ne se distinguent de cet ensemble que parce qu'elles chantent. Ce groupe disparait puis réapparait pour amener un lit blanc, virginal, sur lequel se déroule la scène de séduction entre Kundry et Parsifal, puis la double révélation.
Le dernier acte se déroule sur la même colline que le premier, mais la malédiction touchant Amfortas a gagné ses proches, ils meurent et leurs compagnons les enterrent sous nos yeux. La première partie de cet acte, où seuls trois personnages chantent est sans enjeu dramatique : Parsifal a vaincu, il a la lance, il est donc l'élu, il ne peut que prendre la place du roi pécheur en l’absolvant et ainsi le guérir. Le spectateur sait bien qu'il n'y aura aucun rebondissement. C'est peut-être là que la mise en scène de Girard s'enlise un peu dans l'immobilisme, ou, du moins, parvient beaucoup plus difficilement à maintenir l'attention du spectateur.
Vocalement enfin. Une distribution plutôt de bonne tenue. Si Nikolai Schukoff parvient dans le dernière acte à rendre un peu la dignité de messie de Parsifal, il peine à jouer l'innocence et la jeunesse au premier acte. Elena Zhidkova, par son physique gracile, aurait pu être une féline Kundry, mais vocalement elle ne parvient pas à montrer toute la noirceur, la tourmente et la sensualité du personnage. Gerd Groshowski ne m'a pas convaincu vocalement, mais surtout il surjoue la douleur enlevant au roi toute dignité. Mention spéciale pour Georg Zeppenfeld. Excellente diction, musicalité exceptionnelle, présence scénique : un chanteur lyrique rare.
Des images et un compte-rendu de cette production sur un autre blog.

L'opéra de Lyon en tant que salle de spectacle me laisse une impression très moyenne. Pour commencer, les abords sont squattés par des bandes de jeunes danseurs de hip-hop. Le bâtiment de l'opéra leur offre en effet un abris contre les intempéries et des vitres hautes et larges faisant office de miroirs. Il faut donc se frayer un passage pour accéder à l'intérieur. Le public de l'opéra et ces jeunes danseurs urbains se côtoient sans se parler, à peine se regarder. C'est étrange de voir deux formes artistiques aussi différentes se rencontrer malgré elles dans un même lieu. Je ne sais si l'initiative a été prise par l'opéra mais il serait très intéressant d'imaginer un projet permettant de faire entrer ces jeunes dans l'opéra, que ce soit pour le visiter, y répéter ou même, pourquoi pas ?, les faire monter sur scène dans le cadre d'une création collective.

L'expérience sensorielle du bâtiment, réhabilité par Jean Nouvelle, m'a laissé une expérience assez désagréable. Tout est noir laqué, intégralement ! Sauf bien sûr le foyer, seul vestige de l’incendie. La salle doit en effet être classée et Monsieur Nouvelle n'a certainement pas eu le droit d'y intervenir... La lumière y est blanche, directe et froide. On évolue dans une sorte de pénombre ou de contrejour pénible qui force à regarder toujours où on met les pieds. Les installations sont par ailleurs sous-dimensionnées pour l'usage : les entrées et les sorties sont pénibles car encombrées à cause du choix exclusif des escalators pour accéder à la salle. Cette dernière est métallique, cubique, froide et finalement assez petite. Les sièges sont par contre confortables malgré les apparences. Si le projet de Nouvelle sur les extérieurs me séduit, la réalisation intérieure me semble datée architecturalement parlant.

mercredi 15 février 2012

Le Moyen Age, Entrée en matière

Mon année 2012 sera consacrée, pour une bonne part, à découvrir plus amplement le (si mal nommé?) Moyen Age. Dans le passé, il m'est arrivé de constituer des ensembles de lectures, d'écoutes et de visites à des thèmes : ce fut le cas pour Homère, pour la Mésopotamie mais aussi pour la christianisation de l'empire romain. Je viens de me lancer dans la lecture du Roman de Jaufre, dans l'excellente édition de René Lavaud et René Nelli chez Desclée de Brouwer. J'avais trouvé le coffret comprenant l’œuvre épique (Roman de Jaufre, Falmenca et Barlaam et Josaphat) et l'œuvre lyrique dans une solderie pour une vingtaine d'euros. Je n'avais pas encore eu l'occasion de m'y intéresser. Je consacre un billet particulier aux troubadours.
J'ai pris conscience qu'en général, la littérature mais aussi la musique médiévales intéressent peu et ne sont que rarement évoquées. Il suffit de voir la fréquentation du Musée national du Moyen Age (qui proposent pourtant de nombreuses activités pédagogiques) ou des salles médiévales du Louvre (qui contiennent pourtant de véritables chefs-d’œuvre). La cause en est peut-être (du moins partiellement), à chercher du côté des programmes d'enseignement de l’Éducation Nationale. Les textes de la littérature médiévale sont abordés au collège en 5e ! Une véritable gageure que d'aborder avec des élèves si jeunes des textes si particuliers dans leurs langues (d'oc, d'oïl, latin), dans leurs formes et dans leurs thèmes ! Après confirmation auprès de mes collègues de lettres, il s'avère en effet qu'au lycée la littérature médiévale n'est pas du tout abordée. Je ne comprend pas alors pourquoi dans la liste des auteurs au programme de philosophie, on trouve les noms d'Averroès, Thomas d'Aquin et Ockham... Certes, on peut étudier un extrait de texte en dehors de son contexte historique, s'il s'agit d'en tirer des arguments dans le cadre d'une problématique. Certes... et je le fais moi-même. Je constate cependant que cette pratique conforte les élèves dans leur anhistoricisme, quand ce n'est pas leur anachronisme. Ils restent inconsciemment prisonniers d'un présent sans épaisseur, d'un instant hédoniste.
De plus, les œuvres des auteurs précédemment cités sont censées pourvoir être étudiées dans leur intégralité. Et là je m'interroge : combien de mes collèges étudient en classe une œuvre d'un de ces auteurs ? De plus, les professeurs préparant les sujets d'examen sont censés pouvoir puiser dans ces mêmes auteurs. Et là, je constate : depuis quand ces auteurs médiévaux ont fait l'objet d'un sujet de bac ? La liste des auteurs au programme n'est-elle dès lors qu'une sorte de panthéon philosophique, une sorte de dignité posthume ? Ce que je critique ici (et qui pourrait être appuyé sur de nombreux autres exemples) est le manque de cohérence des programmes de l'éducation nationale entre les différents niveaux et les différentes disciplines. Cela ne peut conduire qu'à des incompréhension chez les élèves et de la frustration chez les enseignants de ne pouvoir faire comprendre toute la richesse d'une pensée.

Comment pénétrer dans ce massif qu'on appelle le Moyen Age, sachant qu'il s'étend chronologiquement du 5e siècle (410 sac de Rome par Alaric ou 476 Odoacre dépose le dernier empereur romain?) au 15e siècle (1453 chute de Constantinople) ? Il faut de bons outils pour ne pas s'y perdre, pour éviter amalgames et confusions, et surtout pour détruire les images d’Épinal qui hantent encore nos esprits sur cette période. Avec méthode, allons donc du général au particulier, de la synthèse à l'analyse, ce qui ne nous empêchera pas de faire quelques lectures digressives.

Pour avoir un bon panorama de la chronologie, de l'espace en question (déterminant ! car le Haut Moyen Age est européen), des forces en jeu, (politiques, religieuses, économiques etc.) ainsi que des grandes évolutions et de leurs étapes, on peut commencer par l’opuscule (170 pages) de Catherine Vincent : Introduction à l'histoire de l'Occident médiéval. Elle parvient à dresser un panorama de la période avec clarté en montrant les liens entre les différentes dimensions (politiques, sociales, religieuse, économique etc.). Tous les chapitres sont liés entre eux. Le chapitre 7 de la 2e partie, par exemple, se clôt sur l'image des poternes urbaines pendant que sonnent les cloches et ainsi s'ouvre le chapitre 8 sur la construction de la chrétienté. Madame Vincent a fait ici un bel effort d'écriture. Les historiens n'en sont pas tous capables (voir mon billet sur Le Moyen Age, Histoire).
Pour se repérer spatialement dans ce vaste ensemble, l'Atlas mondial du Moyen Age de Patrick Merienne (Éditions Ouest-France) est un bon outil, peu couteux. En plus des cartes, il propose des chronologies et les arbres généalogiques des grandes dynasties. indispensable pour ceux qui (comme moi...) ignorent quelles sont exactement les limites de l'Austrasie, de la Neustrie ou du royaume des Wisigoths.
Pour ce qui est de la dimension littéraire de la période deux ouvrages peuvent constituer une bonne entrée en matière. Le premier est l'Introduction à la littérature française du Moyen Age de Michel Zink. Aujourd'hui académicien et professeur de littérature médiévale au Collège de France, ce spécialiste organise son ouvrage autour des différents genres littéraires médiévaux (chansons de geste, poésie, roman, fabliaux etc.) en analysant pour chacun une œuvre représentative (La chanson de Roland par exemple pour la chanson de geste). L'ensemble est claire, concis et instructif. Il suscite la curiosité pour ces textes et ces genres aujourd'hui disparus, du moins dans ces formes initiales. Ce livre est un abrégé d'un manuel plus long destiné aux étudiants de première année. On s'y reportera en cas de besoin.
Enfin, pour entrer directement en contact avec les textes médiévaux littéraires, philosophiques, théologiques, scientifiques ou historiques l'anthologie publié par la collection Le Point Références est une bonne solution. Intitulée Comprendre le Moyen Age, la revue est divisée en 3 parties (plus ou moins justifiées mais ayant le mérite de poser des limites conceptuelles) : l'âge roman, l'âge gothique, le dernier Moyen Age. Fidèle au principe de la collection, on trouve sur la page de droite un extrait d'une œuvre médiévale et sur la page de gauche, une introduction et un bref commentaire.
Ces quelques ouvrages, peu couteux, très clairs et accessibles, permettent de poser quelques repères et jalons avant d'entrer plus avant dans la lecture directe des textes eux-mêmes.
Mon projet pour le moment comporte 3 axes. Tout d'abord préciser mes connaissances historiques sur la période, peut-être plus particulièrement en ce qui concerne la dimension spirituelle et l'histoire de la chrétienté. Ensuite je vais lire un ouvrage représentatif de chaque genre littéraire médiéval. Enfin, car je suis très ignorant sur la question, étudier la philosophie du Moyen Age (si t'en est qu'elle mérite ce nom...?). Ses thèmes, ses thèses et ses formes semblent si éloignées de la philosophie que je pratique quotidiennement que j'en attends un dépaysement intellectuel aussi marquant que celui éprouvé à la lecture de textes littéraires.