lundi 11 avril 2011

Portraits de la pensée, Musée des Beaux Arts, Lille

Quelle gageure et quelle surprise que cette exposition ! Par nature, la pensée n'est pas visible. Seules ses manifestations peuvent l'être : sous la forme de ce qu'elle permet de produire, au premier chef des livres, des schéma, des calculs mais aussi toutes les modifications extérieures qu'elle suscite dans la physiologie ou la carnation lors d'un geste d'éloquence ou au contraire lors de la concentration d'une méditation.
On remarquera que les philosophes, archétype avec le saint du penseur, sont tous vieux, barbus et ridés et le plus souvent en train de faire de la géométrie, signe que la philosophie n'a pas encore l'acception moderne de science humaine. Et le portrait de Descartes qui clôt l'exposition a donc toute sa place ici du fait de la relation étroite dans sa pensée de la philosophie et des mathématiques.

Notes prises sur les œuvres exposées :
  • Saint Paul ermite de Ribera. Beaux jeux de lumière et de texture sur les mains, différents de ceux sur le dos et l'échine. La chaire semble presque en décomposition. On notera le pagne en palmier tressé. 

  • Marie l’Égyptienne de Ribera. Le vide crée par la roche ds la montagne ouvre une brèche, une perspective sur le vide et le ciel créant un contraste proche de celui recherché par Dali dans ses peintures paranoïaques.

  • Platon par Ribera. Grande sobriété austère de ce Platon représenté en noir comme une dominicain.

  • Diogène de Ribera. Complet échec à représenter le cynisme. C'est juste un portrait d'homme en vêtement rapiécé comme un arlequin et portant une lanterne.

  • Jésus parmi les docteurs par le Maître de l'Annonciation aux bergers de Naples. Jésus un jeune homme bossu, laid, à la face plate, aux mains potelés d'enfant attardé. Seul le vieillard qui tient le livre et discute n'a pas l'air d'un vieux crevellé par l'âge et la couperose.

  • Atelier de peintre par le même d'un rare réalisme quant aux conditions de travail du peintre et de son apprenti.

  • Allégorie des sens : la vue et le toucher par Pietro Paolini. Étonnant car c'est un aveugle qui touche une toile et un buste. Une bonne illustration d'un problème qui agitera les philosophes des Lumières.
Tous les philosophes peints par Giordano sont tous d'une laideur effrayante. Aucun n'est habillé correctement, dignement. Ils semblent tous en guenilles, comme si la pauvreté était une vertu philosophique. Tous portent une gourde à la ceinture, détail que je n'ai pu interpréter. De même ils tiennent des textes en hébreu, plutôt que de philosophes, on n'a pas à faire ici à des prophètes ? De même la taille des œuvres m'intrigue car ces toiles ne semblent pas destinées à un espace privé mais plutôt un espace de travail collectif comme une bibliothèque ou une institution scolaire. Dans cette série on voit que la leçon du caravagisme a été intégrée et mêlée à l'école et au style espagnol su Siècle d'Or.
  •  Portrait de philosophe par Luca Giordano. On dirait un Socrate rajeuni, même laideur, même nez busqué.
    • Platon par Luca Giordano. On peut lire une inscription : "La plus grande victoire de l'homme est de vaincre soi-même." Nietzsche n'a donc pas tort quand il qualifie Platon de juif. Platon regarde le spectateur en tenant un miroir dans lequel seul son doigt se reflète, dans une perspective impossible.
    •  Démocrite est gros, gras, rougeoyant, la chemise farcie de papiers divers, tenant un diagramme géométrique ou physique.
    • Héraclite a des yeux affreux, rouges, ridés, noirs, sans une trace de blanc.
    •  Cratès est le plus original. C'est un vieillard à la cane, portant attaché à la ceinture un livre, une gourde, une bourse et un compas (signes très discutables du cynisme). Il fait face au spectateur dont il semble repousser l'approche et les questions qui vont avec, d'un geste de la main. La face est camarde, plissée, les oreilles décollées.
      •  Saint Augustin en méditation de l'entourage de Zubaran. Il a plutôt l'air distrait que méditant...



















       



























      • 2 fois deux pendants représentant les philosophes Héraclite et Démocrite. L'un par Ter Brugghen et l'autre par Moreelse. Les deux philosophes sont identifiés par leurs affections contraires : les larmes pour Héraclite et le rire pour Démocrite. Chez Moreelse, ces affections sont exacerbées, plus manifeste, à la limite de la caricature. Le premier est appuyé sur un globe terrestre et le second sur une sphère céleste. On note une très belle douceur de la lumière et des couleurs dans le diptyque de Ter Brugghen : une lumière du nord et pas du tout une lumière grecque. Mais quel est l'origine de ce topos pictural? S'appuie-t-il sur une source textuelle? S'agissant de philosophes présocratiques, la source n'est pas directe mais passe par les auteurs latins. Une de ses métamorphoses opérées par la doxographie ! De Sénèque à Montaigne, toute une série de textes opposent le rire bouffon de Démocrite au désespoir amer d'Héraclite. Sans qu'on puisse s'appuyer sur les fragments dont on dispose à leur sujet, ces attitudes ne sont pas complètement étrangères à leurs pensées respectives. Pour plus de détails, se rapporter à l'excellent ouvrage collectif Les curieux philosophes de Velázquez et de Ribera publié par le Musée des Beaux-Arts de Rouen.
      •  Saint Jérôme de  Van Somer. Format oblong, le saint écrit ou lit un long rouleau de texte au titre hébraïque.

          Certes, quelques esthètes tatillons, toujours vigilant à exprimer la supériorité de leur bon goût,  ont pu ne pas être séduits par la sélection présentée. Le livre d'or comportait une remarque d'un esprits grincheux jugeant la lumière insuffisante, la sélection de troisième ordre et l'ensemble finalement bien pauvre. Cette exposition peut paraître austère mais elle est d'une belle unité de thème et de style et présente des ensembles rarement réunis en France. De plus elle révèle des sujets inconnus chez des peintres connus.

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