En tant qu'enseignant de philosophie voilà un texte touchant et difficile! Touchant, car il témoigne de l'importance que la philosophie a pu jouer dans la vie des hommes de l'antiquité tardive. Voilà en effet un homme qui, victime innocente des exactions d'un tyran, est torturé, condamné à mort et rédige dans la prison un texte qui a pour but de le consoler. Ou plutôt, c'est la Philosophie elle-même qui lui apparait et avec laquelle il va échanger, parfois sous la forme d'un dialogue maïeutique. Qu'un homme, abandonné de tous, voué à une mort imminente, ait comme réflexe de plonger dans les souvenirs de ses lectures pour y trouver une consolation, un apaisement me touche beaucoup. Jean-Yves Tilliette, qui rédige une excellente introduction à la Consolation (éditions Livre de Poche) écrit : "Il ne reste au condamné, destitué désormais de tout secours humain, mais aussi sans doute de celui de ses livres, qu'à faire appel à une mémoire culturelle pluriséculaire pour affronter une situation existentielle insupportable, essayer de lui donner forme et d'en rendre raison."
En ferais-je de même? Je n'ai jamais été confronté à de telles revers, mais il est vrai que les deuils que j'ai vécu ont trouvé dans les méditations stoïcienne une forme de réconfort. Dans ma vie quotidienne aussi, j'ai de plus en plus le réflexe de me tenir un discours qui m'aide à mieux vivre des situations pénibles ou stressantes. On parle des mantras bouddhistes mais certaines maximes philosophiques peuvent assurer la même fonction.
Ce texte témoigne bien que la philosophie comme toute autre discipline littéraire, n'est pas étrangère à la vie et ne relève pas seulement d'une vaine spéculation intellectuelle, d'un loisir studieux : elle participe à la construction autonome de l'individu. Par elle, il se forme. Elle l'informe, non pas au sens moderne de prendre connaissance d'un fait plus ou moins important. Elle construit dans la pensée de celui qui s'y exerce (car il y a bien ici un effort en jeu) une structure stable, des réflexes mentaux, une forme qui demeure, qui résiste aux aléas de la Fortune.
La Philosophie, à gauche, coiffée d'un double hennin compliqué, donne la leçon à Boèce dans une position accablée ou méditative, pendant que Fortune, échevelée, fait tourner sa roue. |
Allégorie de la philosophie, Vitrail de la cathédrale de Laon. |
Certes, nous avons à faire dans ce texte à une philosophie qui n'a plus la pureté rationnelle de ses origines car elle est mise au service de la théologie chrétienne mais le Dieu auquel Boèce applique ses concepts philosophiques est loin de ce que 15 siècles de catholicisme en ont fait. C'est un Dieu qui me semble plus proche de celui de Plotin que de celui d'un pape moderne. La relation de la tradition chrétienne avec ce texte est loin d'être simple et uniforme. Monsieur Tilliette le montre avec beaucoup de clarté et de précision en posant la question de savoir si Boèce est un philosophe ou un martyr? Pourquoi ne serait-il pas philosophe? La question de l'originalité de sa pensée est en effet problématique : il reprend beaucoup à ses illustres prédécesseurs : Platon, Aristote mais relus au prisme de la nouvelle Académie et du néoplatonisme. De même, sa réflexion n'est pas étrangère aux questions des stoïciens. Pour les historiens de la philosophie, ce texte est un casse-tête : quelles sont les sources de Boèce? Les restitue-t-il fidèlement ou bien les interprète-t-il en fonction de sa propre réflexion ou au travers du filtre de certaines écoles philosophiques qui en ont modifié le message?
Est-il un martyr? Si oui de quelle foi? La foi chrétienne? Encore une fois, son Dieu semble plus platonicienne que chrétien (même si, la pensée chrétienne s'est inspirée de l'efficacité du réflexe romain d'assimilation, et qu'elle a vu dans Platon comme dans la Thora, une formulation inconsciente du Dieu qu'elle adore). N'est-ce pas plutôt en la Philosophie qu'il manifeste une foi inébranlable? N'est-elle pas celle qui fait taire ses inquiétudes et qu'il l'invite à entrer sans peur dans l'indicible?
D'un point de vue
d'histoire de l'art, l'allégorie de la philosophie se trouve sur de
nombreux édifices religieux dans la mesure où elle faisait partie dans
certaines traditions du trivium. On trouve sur ce site,
de bonnes illustrations accompagnées de légendes instructives.De plus,
le livre de Boèce eut un immense succès tout au long du Moyen Age (et
même jusqu'au 15e siècle) et, de littéraire, l'image de la philosophie visitant le philosophe condamné devint picturale. En voici quelques exemples :
Quant aux étudiant en philosophie, ils ne peuvent s'engager dans la lecture de ce texte sans une bonne connaissance de la philosophie antique, au risque, sinon, de confondre des doctrines distinctes qui font l'objet ici d'une forme de syncrétisme. Pour les élèves de Terminale, quelques passages limités développent d'intéressantes analyses sur le bonheur, qui est ici distingué du plaisir. Nous n'avons pas à faire ici à un eudémonisme hédoniste! On se rapportera plus précisément aux chapitres 2 et 3 du Troisième livre pour la définition du bonheur. Les chapitres 7 et 8 de ce même livre, écartent les faux biens qui ne peuvent prétendre au rang de souverain bien.
Enfin, le premier chapitre du Cinquième et dernier livre, aborde le problème très ardu de la liberté, c'est-à-dire de la contingence, dans un monde où règne une nécessité proche chez Boèce de celle des stoïciens. Un texte difficile aussi donc.
On privilégiera l'édition bilingue du Livre de Poche qui propos une belle traduction et une introduction très utile.
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