jeudi 9 octobre 2008

Amjad Ali Khan - Sarod

Lors de l'extraordinaire concert de 24 heures de raga à la Cité de la musique (dont le visionnage gratuit peut se faire à la médiathèque de la Cité de la musique) j'ai découvert un des grands maître indien de sarod, un instrument à cordes typiquement indien : Amjad Ali Khan. Sa venue à Paris semblait un petit événement! Il est vrai qu'il est très doué! C'est un virtuose doublé d'un musicien très sensible, émouvant.

Voilà ce qu'il écrivait dans le programme de ces 24 heures de raga :

Les ragas d’Amjad Ah Khan

1. Raga Ganesh Kalyan. Composition sur un cycle rythmique à huit temps suivie d’une composition sur un cycle rythmique à douze temps dans un tempo rapide.
2. Raga Darbari Kanhara. Alap Jor Jhala.
3. Raga Subhalakshmi. Composition sur un cycle rythmique à six temps (tala Dadra).
4. Raga Ziha Kafi. Composition inhabituelle sur un cycle rythmique à quatorze temps.
C’est pour moi un grand honneur et un immense plaisir de pouvoir présenter ma musique à la Cité de la musique. Paris occupe une place particulière dans mon coeur etje suis très heureux d’être de retour dans cette ville après plusieurs années d’absence.
Pour moi, il n’existe que deux sortes de musique. La première n’est rien d’autre que du son (la forme la plus pure de la musique), tandis que la seconde est basée sur la littérature, sur un texte, des paroles, une histoire, etc. Un vieux proverbe dit que « la longue crée des barrières». Mais le son pur des instruments ou de la voix ne ment pas : il ne peut tromper personne. La musique doit être ressentie et vécue. Personnellement, j’admire etje respecte la grande poésie ou les messages des grands saints. Mais je vis dans le monde du son; ce n’est qu’à travers le son que je parviens à ressentir la présence de l’Être Suprême (Dieu).
Il est très difficile pour un musicien classique indien de parler des ragas ou des talas (cycles rythmiques) avant de les jouer car les choix sont généralement faits à l’approche de la date du concert, parfois même le jour du concert. Étant donné que nous n’utilisons pas de partitions, l’humeur et les émotions de l’artiste au moment où il s’apprête à jouer peuvent aussi avoir une incidence. Je traite chaque raga comme un être vivant. Un raga est plus qu’une simple échelle (l’échelle s’apparente davantage à un squelette). Bien que le terme de « raga » désigne littéralement une « improvisation dans le cadre d’une structure déterminée par des séries de notes descendantes et ascendantes», il me semble, ici, tout à fait approprié. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours souhaité que mon instrument, le sarod, soit capable d’exprimer la gamme des émotions humaines (qu’il soit capable de chanter, de crier, de chuchoter et de pleurer). Toutes les émotions. J’ai parcouru un long chemin depuis et, avec l’aide du Ciel, mon sarod est devenu bien plus expressif qu’il ne l’était il y a vingt-cinq ans.
Le premier raga est intitulé Ganesh Kalyan. Je ne peux pas vraiment dire que j’ai créé un raga dans la mesure où, pour moi, un raga est un être vivant. Je préfère donc dire que j’ai découvert un raga comme on découvre de nouvelles personnes ou de nouveaux endroits. J’ai joué ce raga pour la première fois à Pune, Maharashtra, en 1992, dans le cadre du Festival annuel de Ganesh. Je commence par un bref alap, la section au cours de laquelle le raga se déploie note par note, après quoi j’exécute quelques compositions rudimentaires. Au moment où j’entame la composition à proprement parler, le tabla se joint à moi pour jouer un cycle rythmique qui me sert d’accompagnement tandis que j’improvise avant que nous n’inversions les rôles. Nous utilisons des cycles rythmiques complexes, qui peuvent comporter dix temps, quatorze temps ou même neuf temps et demi. Je joue habituellement deux ou trois compositions, chacune dans un tempo différent (lent, modéré, rapide).
Le deuxième raga est le raga de la nuit éternelle, Darbari Kanhara. Il a été créé par le grand Tansen, musicien à la cour de l’Empereur Akbar au XVe siècle. C’était l’un des ragas favoris de mon père, Haafiz Ah Khan, ce qui explique pourquoi j’y suis très attaché et pourquoi il me rend si nostalgique.
Après Darbari Kanhara vient le raga Subhalakshmi. Comme l’indique le titre, il s’agit d’un hommage à ma femme, Subhalakshmi, qui a consacré toute sa vie à sa famille, mais aussi, à travers elle, à toutes les femmes qui, de par le monde, sacrifient leur vie pour leur propre famille.
Je conclus avec un raga traditionnel et magnifique, Zila Kafi, qui est associé au Festival Holi (le festival des couleurs) en Inde. Il n’existe qu’un petit nombre de ragas dont l’exécution repose entièrement sur des considérations esthétiques. Zila Kafi est étroitement associé à la musique instrumentale. Ce raga est une combinaison des modes Kafi et Khammaj. Je commence par un aochar, avec des phrases vocales typiques. La composition n’est elle-même que mon interprétation d’une magnifique toile peinte par les grands modèles dont la musique m’a fait grandir.
L’une des particularités de la musique classique indienne est que l’interprète doit jouer comme s’il était, à lui seul, tout un orchestre. Autrement dit, notre rôle, en tant qu’interprètes, est à la fois celui d’un interprète, d’un compositeur et d’un chef. Trois en un. Le sarod et le tabla seront accompagnés par un tanpura, l’instrument chargé de jouer le bourdon, accordé sur la véritable tonique.

Amjad Ah Khan
Je recommande ce CD facile à trouver :

Amjad










La musique indienne classique est d'une grande complexité. J'avoue ne pas tout saisir sur le plan de la construction et de la structure des compositions. Mais il n'est absolument pas nécessaire de connaître quoique ce soit pour apprécier cette musique qui est fondée essentiellement sur la mélodie.

Voici le texte du livret du CD :

Une musique à composition improvisée
Mieux qu’improvisée, la musique de l’Inde pourrait être dite “à composition improvisée” en ce qu’elle emprunte autant à l’une qu’à l’autre de ces formes musicales. Des musiques totalement composées, elle se différencie par la liberté qu’elle offre à l’interprète de s’adapter aux situations, au contexte, à tout ce qui fait l’unicité d’un moment. Des musiques essentiellement improvisées, elle se démarque par les références à une grande variété de modèles, tant à un niveau ponctuel, de syntaxe, que l’on pourrait comparer aux règles de l’harmonie par exemple, qu’à un niveau plus inhabituel, comme celui des structures de compositions, des modèles imbriqués de développement : phrases, paragraphes, chapitres… Ces différentes règles ne sont en fait pas plus coercitives que celles que l’on connaît notamment en harmonie, elles représentent plutôt la somme des observations que les générations ont accumulées, constatant qu’elles permettaient d’apporter une cohérence au discours musical. Les exemples abondent d’innovations créées par tel ou tel musicien à la vision d’un raga, qui sont devenues la norme.., jusqu’à ce qu’une nouvelle optique s’impose, ou d’innovations plus radicales encore sur le traitement d’un mode qui ont conduit à la création d’un nouveau raga. Un raga est, en effet, une vision d’un mode, mais il peut y en avoir plusieurs sur un même mode qui se différencieront par le choix de la hiérarchie des notes et des trajets privilégiés à l’intérieur de ce mode.

La dynastie du sarod
Certains musicologues qui se sont penchés depuis quelque temps sur la question de l’improvisation sont arrivés à une même conclusion la multiplicité des paramètres à maîtriser pour pratiquer ce genre de musique ne s’accommode que d’un type de pédagogie : une relation étroite de maître à élève dans le cadre d’une transmission orale. Cette méthode, habituelle aux dernières époques où la tradition musicale occidentale faisait encore place à l’improvisation, a été érigée au rang de principe dans la tradition indienne dont elle est considérée comme la “clé de voûte” car elle en assure la pérennité.
Cette relation donne évidemment toute sa mesure dans le contexte familial, et c’est très naturellement que l’on a vu se développer, en Inde, des dynasties de musiciens, le plus généralement dédiées à un style de musique, et souvent à un instrument. Les plus lointains ancêtres connus d’Amjad Ah Khan, soit à la huitième génération, jouaient du rabab, cet instrument afghan qui, au début de notre siècle, a évolué en sarod.

Le sarod
Au rabab afghan, il a emprunté sa forme de luth trapu à manche large, ainsi que la distribution des cordes à peu près identique à celle du sitar quatre cordes mélodiques (tonique, quinte, tonique, quarte), deux cordes rythmiques (la tonique aux octaves quatre et cinq) et les cordes sympathiques qui, accordées sur le raga, créent par résonance, sans être jouées, le halo harmonique caractéristique des instruments à cordes indiens.
Mais le processus de production du son du sarod introduit quelques innovations qui lui confèrent un timbre d’une réelle originalité. La touche est recouverte d’une plaque métallique sur laquelle l’ongle vient presser les cordes, elles-mêmes métalliques. La frappe de la corde se fait au moyen d’un puissant plectre en noix de coco ou en teck. Ces éléments concourent à donner à l’attaque son caractère incisif et brillant, adouci dans les transitoires par la peau tendue qui constitue la table d’harmonie sur laquelle repose le chevalet. Ce mélange métallique et feutré, la réverbération naturelle créée par la peau permettent, en jouant plus ou moins loin du chevalet et en variant les attaques, d’obtenir une palette de timbre étendue. De plus, la précision du contact ongle-corde métallique-touche métallique donne une qualité de tenue et de fluidité aux glissendi d’ornementations exigés par cette musique, mais ce contact infime est des plus difficiles à obtenir tant sur le plan sonore que sur celui de la justesse.
Amjad AIl Khan a choisi de continuer à jouer sur le même type de sarod que son père, un instrument plus petit, avec moins de cordes, donc moins puissant que certains des sarods actuels, mais qui s’adapte au climat plus intimiste de sa musique.

Amjad Ah Khan: un style
Né peu avant l’indépendance de l’Inde, Amjad Ahi Khan n’a pas vécu l’âge d’or de la fin du mécénat, où la musique indienne avait atteint des niveaux d’expressivité, d’intensité et d’équilibre de la composition qui ne sont pas courants aujourd’hui les enregistrements anciens sont là pour en témoigner. Fils tardif d’Hafiz Ah Khan, un des plus grands musiciens de son temps, et donc directement relié à cette période faste, Amjad Ahi Khan a su résister à la tendance répandue à rechercher un succès rapide, acceptant le temps de maturation nécessaire pour laisser sa musique acquérir toute sa force d’expression et renouer ainsi avec la plus ancienne tradition. Le même genre de choix l’a conduit à privilégier, dans un premier temps, sa carrière indienne. Il est fréquent, par exemple, de voir les joueurs de sarod ou de sitar accorder une place excessive au jeu de la main droite (celle qui frappe les cordes) pour des effets rythmiques qui emportent l’adhésion immédiate des publics indiens ou occidentaux d’ailleurs, mais le plus généralement aux dépens du jeu de la main gauche qui crée les notes et la mélodie. Or cette activité de la main mélodique est celle qui demande le plus de travail sur des instruments où la mobilité sur le manche n’est pas du tout évidente, elle est la “pierre de touche” de la véritable virtuosité. C’est là une des caractéristiques de la musique d’Amjad Ah Khan que de ne jamais laisser les indispensables irruptions du rythme pur prendre le pas sur le développement mélodique.Amjad Ah Khan n’a pas pour autant renoncé à la modernité, le succès qu’il connaît en Inde suffirait à l’affirmer. En fait, sa réussite est d’avoir su trouver, au sein même de l’art si vaste du raga, les ressources naturelles pour faire correspondre cette musique avec les publics nouveaux qu’elle s’est trouvés à l’extérieur comme à l’intérieur des frontières de son pays. Ainsi il y a, par exemple, deux traditions assez différentes dans la musique du Nord de l’Inde quant à l’importance à apporter aux montages rythmiques complexes sur un grand nombre de cycles — dans le Sud de l’Inde cette pratique est à peu près systématique, or on discerne nettement dans la musique d’Amjad Ah Khan la volonté de n’exclure aucune de ces deux tendances, tout en cherchant à en éviter les écueils : surrythmisation au détriment de la mélodie, renoncement aux audaces rythmiques… ce qui serait dommage. Il possède, par exemple, une façon très personnelle de ménager de brèves incidentes au découpage rythmique différent, une volée de quintolets ou de septolets au milieu d’un discours binaire ou ternaire, au moment le moins attendu. Il fait preuve, par ailleurs, tout au long des développements mélodiques d’un sens du “laya” (dont la meilleure traduction serait le “swing”), cette forme la plus spontanée et naturelle du rythme à laquelle les amateurs sont particulièrement sensibles, et qui a, chez lui, une justesse et une efficacité étonnantes. Dans la partie finale du “Miya ki Malhar”, TeenTal (plage 4) par exemple, lorsqu’il joue le traditionnel '‘jhala”, qui repose sur un va-et-vient avec les cordes aigues, il se livre à un renversement permanent des motifs qui se traduit par une palette impressionnante de contretemps exécutés avec une telle précision qu’ils pourraient échapper à une oreille inattentive. Shafat Ahmed Khan
Shafat Ahmed Khan est l’un des partenaires les plus réguliers d’Amjad Ahi Khan. Il se rattache directement à l’Ecole de Dehli par son père Ustad Chamma Khan, mais a aussi étudié le style de Farrukabad. Une certaine affinité pour le chant, peu courante chez les percussionnistes, donne à ses accompagnements une musicalité sans doute à l’origine du choix d’Amjad Ah Khan. Shafat Ahmed Khan s’est très rapidement imposé comme un des joueurs de tablas que l’on rencontre dans tous les grands festivals et que les musiciens choisissent pour leurs tournées hors de l’Inde.

Miya-ki-Malhar

On remarquera que pour ce disque compact Amjad Ahi Khan a choisi de revenir au premier raga qu’il a enregistré, le très étonnant “Miya-ki-Malhar”, c’est-à-dire le Maihar de “Miya” (plus connu sous le nom de Tansen), le grand nom de la tradition de l’Inde du Nord. Par ce choix symbolique, il revendique sans doute une étape de sa discographie que nul ne lui contestera. Si son premier Malhar, loin d’être passé inaperçu, avait suffi à le poser d’emblée comme un musicien avec lequel il allait falloir compter, le présent enregistrement est bien celui d’un musicien arrivé à pleine maturité, où la richesse des développements mélodiques intègre tous les aspects de ce que l’on peut appeler le “style Amjad”. Malhar est un raga délicat à traiter. Contrairement aux autres, dits “grands ragas”, qui excluent en général la possibilité d’utiliser deux déterminations d’un degré de l’octave et se jouent donc sur un maximum de sept degrés, Malhar inclut une huitième note, le Si bémol en l’occurrence. Le fait d’accepter deux variantes d’un (ou plusieurs) degré(s) de la gamme, avec les effets de modulation harmonique “bluesy” qui en résulte, est en général plutôt le propre des ragas les moins austères, il y a alors une certaine latitude dans la façon de jouer avec ces altérations. Mais dans Malhar les contraintes sur l’utilisation des deux Si sont assez sévères, sous peine de perdre le caractère du raga. Le grand Tansen avait, en effet, découvert que le passage obligé par le La entre le Ré et le Si, (le fait de s’interdire la flatteuse succession Si b pouvait servir de point de départ à une mélodie originale. Le mouvement parallèle dans le premier tétracorde (qui sert de réponse dans ce raga) est une façon très particulière d’intégrer la tierce mineure dans la mélodie : à aucun moment on n’entendra la succession Ré-Mi dans le développement, un passage par le Fa ou le Sol est impératif entre ces deux degrés. La forme un peu inhabituelle de ces contraintes, pour caractériser un raga (qui se définira d’une façon plus positive en général par des suggestions de trajets privilégiés entre les degrés du mode), en rend l’interprétation délicate, car elles limitent les possibilités mélodiques. Elles assurent par contre une tonalité émotionnelle particulièrement forte au raga, qui le rattache précisément à la période de la mousson. Le plaisir de l’arrivée des pluies, après la montée de la chaleur et de la sécheresse, est très réel. La violence de la mousson donne bien, par contre, une nuance d’incomplétude à ce plaisir, traduite par l’absence de ces deux modulations si plaisantes à l’oreille de Ré-Mi b et Si b-Si. Le choix du très austère Dhamar, une métrique à quatorze temps mais sur un découpage peu naturel, 5/2/3/4, vient rajouter subtilement à l’ambiguïté “douceur- dureté” de Malbar. Réservé souvent au très ancien style Dhrupad, il possède une solennité propre et une étrangeté dues à son découpage asymétrique, et aussi à ce qu’il semble escamoter le premier temps, qui n’est pas évident à identifier.

Zila-Kafi (Ragamala)

Le second choix, “Zila-Kafi”, est, comme son nom le suggère, un mélange de deux ragas qu’Amjad Ah Khan interprète souvent en concert et qui se prête particulièrement au style Thumree. Un réel contresens a été induit par le qualificatif de “Light classical” souvent accolé à ce genre. Si le Dhrupad se caractérise souvent par son austérité, le Khyal par son côté brillant, le charme qui est l’attribut du Thumree ne saurait en faire un genre mineur, et les musiciens savent bien qu’il demande des qualités qu’ils considèrent comme parmi les plus rares, et la plus grande liberté qu’il laisse dans l’introduction d’altérations aux degrés du mode n’exclut pas une grande complexité des modèles de développements spécifiques, d’ailleurs trop souvent ignorés. “Kafi” utilise comme mode de base la gamme mineure, tierce et septième mineures, avec comme premier niveau d’altérations la tierce et la septième majeures. La nuance apportée par le raga “Zila” consiste, sans modifier le mode de base, à privilégier certains trajets comme Ré Fa Sol La Do qui permettent à l’interprète d’établir des communications mélodiques avec des ragas de la famille de Durga, donc de donner une certaine coloration à la “guirlande de ragas” qu’il sollicite pour tresser son Ragamala.
François Auboux”

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