Après un premier coup d'essai à l'occasion de la retransmission de Siegfried, j'ai pris des billets pour d'autres projections à la Géode du Metroploitan Opera de New-York. Ce samedi, c'était donc Rodelinda de Handel. J'aurais dû un peu réfléchir avant de m'engager... ce n'est pas faute pourtant de connaître ce hangar qu'est le Met ! En plus il s'agissait d'une reprise de la production de 2004, reprise également en 2006 : les critiques ne manquaient pas.
Que pouvait produire un opéra baroque, destiné à des salles de 300 spectateur, avec un orchestre aux effectifs limités (une vingtaine de musiciens) dans un espace qui accueille 4000 spectateur ? Résultat : pas grand chose. Ou du moins si... mais pas musicalement ! Je m'explique. Pour "remplir" un peu cet espace et peut-être aussi pour attirer le spectateur new-yorkais, la production avait tout misé sur une mise en scène vive, un décor de cinéma et des stars vocales. Voir les extraits.
Le plateau pour commencer : immense, coulissant horizontalement et verticalement (transition scènes 2 à 3 de l'acte 3 pour nous faire descendre à la prison) pour nous ouvrir à d'autres lieux, comme un traveling au cinéma. Rien ne manque : la fontaine, la colonne, les écuries (un vrai cheval sur le plateau!!! Monté par le courageux Shenyang). Pas une feuille du lierre grimpant ne manque! La bibliothèque qui sert de décor à l'acte 2 et digne d'un film de cap et d'épée. Il a d'ailleurs été applaudi au lever de rideau (je ne m'habituerais jamais à cette pratique outre-atlantique, si loin de nos mœurs continentales...). Et quand Bertarido s'oppose à Garibaldo (fin de l'acte 2) c'est par un combat à l'épée (pas très en place d'ailleurs : les chanteurs ne sont pas des cascadeurs). Les costumes sont à l'avenant, historiquement informés et très luxueux.
Que reprocher à tout cela ? : la volonté de meubler la scène quand les chanteurs donnent leurs airs. L'opéra baroque est construit sur une structure par à coup : les récitatifs font avancer l'action, les airs décrivent et transmettent les états affectifs des personnages. Ces derniers sont da capo : la première partie est reprise mais non pas répétée car tout l'art du chanteur consiste à l'orner pour montrer ses capacités vocales. Donc, en général, pendant les airs il ne se passe pas grand chose et c'est tant mieux! car ainsi, on peut être complètement attentif au chant. Or ici, la volonté évidente de Stephen Wadsworth et de son décorateur Thomas Lynch est de compléter les airs par une action comme si le spectateur ne pouvait pas se contenter de la musique. On voit ainsi Renée Fleming et Andreas Scholl porter un enfant (déjà grand pourtant et surement pas léger) pendant leurs airs! Les autres personnages sur scènes ne s'agitent pas. Toute cette mise en scène et ces jeux scéniques sont finalement très premier degré.
Qu'on est loin de la subtilité de la transposition proposée par Jean-Marie Villégier en 1998 au Festival de Glyndebourne, heureusement captée en vidéo et disponible en DVD! La comparaison avec la production du MET ne tient pas une seconde pour la bonne et simple raison que Villégier n'oublie pas qu'il n'est qu'un metteur en scène d'opéra et qu'en tant que tel il doit se mettre au service de la musique (il en existe encore quelques uns comme Pierre Audi, Jean-Claude Auvray ou Robert Carsen). La transposition politique (car cet opéra met en scène le refus du machiavélisme en politique, le livret est en cela très fidèle à la tragédie de Corneille sur laquelle il est construit, cette ultime tragédie de Corneille, complètement tombée dans l'oubli) proposée par Villégier est non seulement cohérente mais elle est esthétique. Ses choix sont d'ailleurs l'exact opposé de ceux de l'équipe new-yorkaise : sobriété mais puissance expressive des décors, subtils jeux de lumière, jeu des acteurs inspiré par les films muets des années 30. Tout cela sert de cadre au chant et n'intervient pas comme un complément, un support au chant. De plus le drame de l'action n'apparait que plus clairement. On ne tremble pas pour les personnages montrés à New-York, les épreuves qu'ils traversent n'ont l'air que de quelque exercice propre à tester leur vertu. A Glyndebourne, on nous montre au contraire des personnages qui tremblent pour eux-mêmes et les leurs. L'action révèle leur vertu.
Last but not least : le chant. Là encore, la comparaison avec la production anglaise ne sert pas celle du MET. Renée Fleming joue bien, elle est touchante mais elle est à l'automne de sa carrière et je trouve sa voix un peu trop acide, elle manque du velouté nécessaire à un tel rôle. De plus, spécialiste du bel canto, elle me semble introduire beaucoup trop de vibrato. Anna Maria Antonnaci est infiniment plus subtile, plus touchante : plus musicienne... Est-ce par souci d'homogénéité qu'Andreas Scholl use aussi de vibrato ? De façon moins prononcée certes, plus subtile que Renée Fleming car il ne l'introduit que dans les reprises de ses airs, comme un ornement parmi d'autres. Cependant, il ne le faisait pas en 1998 : ce changement est-il dû au chef d'orchestre ou bien est-ce une évolution de la voix de l'artiste lui-même ? Il faut reconnaitre qu'en un peu plus de dix ans, il a perdu de sa clarté et de sa puissance d'émission. Il en va de même pour les autres chanteurs. Je préfère l'élégance et la diction de Kurt Streit. L'Eduige de la pachidermique Stephanie Blythe est bien moins convaincante et subtile que celle de Jean Winter.
Enfin, la direction d'orchestre. Monsieur Bicket parvient à sonner baroque avec les moyens du Met, ce qui relève de la gageure et il ne s'en sort pas si mal. Christie est cependant plus nuancé et le propos de l'orchestre est plus clair et vif. La prise de son du Met n'était cependant pas parfaite, loin de là !
Mieux vaut donc investir dans un DVD qu'on aura envie de revoir que dans une place de cinéma pour une production qu'on oubliera bien vite !
Pour compléter cette critique : un article du NY Times et un de Forumopéra sur la reprise au Théâtre des Champs-Élysées de la mise en scène de Villégier.
Que reprocher à tout cela ? : la volonté de meubler la scène quand les chanteurs donnent leurs airs. L'opéra baroque est construit sur une structure par à coup : les récitatifs font avancer l'action, les airs décrivent et transmettent les états affectifs des personnages. Ces derniers sont da capo : la première partie est reprise mais non pas répétée car tout l'art du chanteur consiste à l'orner pour montrer ses capacités vocales. Donc, en général, pendant les airs il ne se passe pas grand chose et c'est tant mieux! car ainsi, on peut être complètement attentif au chant. Or ici, la volonté évidente de Stephen Wadsworth et de son décorateur Thomas Lynch est de compléter les airs par une action comme si le spectateur ne pouvait pas se contenter de la musique. On voit ainsi Renée Fleming et Andreas Scholl porter un enfant (déjà grand pourtant et surement pas léger) pendant leurs airs! Les autres personnages sur scènes ne s'agitent pas. Toute cette mise en scène et ces jeux scéniques sont finalement très premier degré.
Qu'on est loin de la subtilité de la transposition proposée par Jean-Marie Villégier en 1998 au Festival de Glyndebourne, heureusement captée en vidéo et disponible en DVD! La comparaison avec la production du MET ne tient pas une seconde pour la bonne et simple raison que Villégier n'oublie pas qu'il n'est qu'un metteur en scène d'opéra et qu'en tant que tel il doit se mettre au service de la musique (il en existe encore quelques uns comme Pierre Audi, Jean-Claude Auvray ou Robert Carsen). La transposition politique (car cet opéra met en scène le refus du machiavélisme en politique, le livret est en cela très fidèle à la tragédie de Corneille sur laquelle il est construit, cette ultime tragédie de Corneille, complètement tombée dans l'oubli) proposée par Villégier est non seulement cohérente mais elle est esthétique. Ses choix sont d'ailleurs l'exact opposé de ceux de l'équipe new-yorkaise : sobriété mais puissance expressive des décors, subtils jeux de lumière, jeu des acteurs inspiré par les films muets des années 30. Tout cela sert de cadre au chant et n'intervient pas comme un complément, un support au chant. De plus le drame de l'action n'apparait que plus clairement. On ne tremble pas pour les personnages montrés à New-York, les épreuves qu'ils traversent n'ont l'air que de quelque exercice propre à tester leur vertu. A Glyndebourne, on nous montre au contraire des personnages qui tremblent pour eux-mêmes et les leurs. L'action révèle leur vertu.
Last but not least : le chant. Là encore, la comparaison avec la production anglaise ne sert pas celle du MET. Renée Fleming joue bien, elle est touchante mais elle est à l'automne de sa carrière et je trouve sa voix un peu trop acide, elle manque du velouté nécessaire à un tel rôle. De plus, spécialiste du bel canto, elle me semble introduire beaucoup trop de vibrato. Anna Maria Antonnaci est infiniment plus subtile, plus touchante : plus musicienne... Est-ce par souci d'homogénéité qu'Andreas Scholl use aussi de vibrato ? De façon moins prononcée certes, plus subtile que Renée Fleming car il ne l'introduit que dans les reprises de ses airs, comme un ornement parmi d'autres. Cependant, il ne le faisait pas en 1998 : ce changement est-il dû au chef d'orchestre ou bien est-ce une évolution de la voix de l'artiste lui-même ? Il faut reconnaitre qu'en un peu plus de dix ans, il a perdu de sa clarté et de sa puissance d'émission. Il en va de même pour les autres chanteurs. Je préfère l'élégance et la diction de Kurt Streit. L'Eduige de la pachidermique Stephanie Blythe est bien moins convaincante et subtile que celle de Jean Winter.
Enfin, la direction d'orchestre. Monsieur Bicket parvient à sonner baroque avec les moyens du Met, ce qui relève de la gageure et il ne s'en sort pas si mal. Christie est cependant plus nuancé et le propos de l'orchestre est plus clair et vif. La prise de son du Met n'était cependant pas parfaite, loin de là !
Mieux vaut donc investir dans un DVD qu'on aura envie de revoir que dans une place de cinéma pour une production qu'on oubliera bien vite !
Pour compléter cette critique : un article du NY Times et un de Forumopéra sur la reprise au Théâtre des Champs-Élysées de la mise en scène de Villégier.
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